L’état des lieux du sexisme en France en 2019 montre que le seuil de tolérance au sexisme baisse…. Pas le sexisme lui-même. Focus sur l’entreprise, les médias et la vie politique.
Ce lundi, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a présenté son deuxième état des lieux du sexisme en France. Si la première édition, en 2019, déplorait le fossé béant entre le nombre d’actes sexistes et la condamnation de ces actes, la deuxième édition note une prise de conscience du sexisme et un long chemin restant à parcourir.
Jamais « le mot sexisme et, plus largement, l’expression ‘violences sexistes et sexuelles’, n’ont été autant utilisés » écrit le HCE. Ceci, grâce au mouvement #MeToo, au « décompte macabre des 149′ féminicides’ et aux révélations de violences sexuelles dans les arts et la culture ou le sport. Mais aussi grâce à une évolution du droit avec la création de l’ « outrage sexiste » ou d’une définition du « sexisme » par le Conseil de l’Europe . (Voir : Le Conseil de l’Europe veut que les Etats luttent contre le sexisme). Le Grenelle des violences a aussi été l’occasion de parler de sexisme.
Résultat : les femmes savent que certains comportements autrefois admis, relèvent du sexisme et sont intolérables. 99 % des femmes disent avoir été victimes d’un acte ou commentaire sexiste en 2019 et les plus jeunes ne sont pas prêtes à se laisser faire : 92 % considèrent que le sexisme est un problème dans notre société. Fini le déni !
Sexisme au travail
Le HCE a choisi de faire un éclairage particulier sur les universités et grandes écoles, « bastions ‘virilistes’ où règne une sorte d’institutionnalisation du sexisme qui fonctionne comme rite intégrateur. » Dans les grandes écoles, selon une étude menée en 2016 par l’association Femmes ingénieurs, 63 % des femmes disent avoir subi ou avoir été témoins de violences sexistes ou sexuelles sur le campus. Et 10 % disent avoir été victimes d’agressions sexuelles et moins d’un quart d’entre-elles (24%), disent avoir bénéficié d’une aide extérieure par la suite. Les bizutages existent encore avec des « pratiques humiliantes et violentes, des photomontages dégradants, des actes de harcèlements et des violences sexuelles. » Dans les universités, des mesures de prévention ont été mises en place « mais il semble qu’il demeure un écart entre la lettre et l’action » avance le HCE.
Dans le monde du travail, 60 % des Européennes déclarent en 2019, « avoir déjà été victimes d’au moins une forme de violence sexiste ou sexuelle au cours de leur carrière ». « 11 % des femmes révèlent avoir eu, au cours de leur carrière, un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré » avec quelqu’un de leur milieu professionnel. » Ce chiffre s’élève à 33 % pour les femmes soumises à un règlement vestimentaire… Le HCE revient aussi sur les derniers chiffres du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle : en 2016, 80 % des femmes considéraient que, dans le monde de l’entreprise, elles étaient régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes ». Depuis, les obligations des entreprises en matière de lutte contre le sexisme et les violences sexistes et sexuelles ont été renforcées mais les sanctions ne sont pas à la hauteur des enjeux…
Sexisme dans les médias
Dans les médias, les stéréotypes de sexe sont toujours en pleine forme. En conclusion du chapitre consacré aux entreprises, le HCE analyse le traitement médiatique du départ d’Isabelle Kocher poussée hors d’Engie où elle n’avait pas démérité, par les vieux briscards du CAC40. Les journaux s’appesantissent sur le « mentor » d’Isabelle Kocher sans qui elle ne serait rien et note le HCE « La vie amoureuse de Mme Kocher est aussi importante dans les suggestions des moteurs de recherche que sa carrière professionnelle. »
Plus globalement, dans les médias audiovisuels, les femmes ne représentent que 42 % des personnes vues sur le petit écran en 2019… Et seulement 29 % aux heures de grande écoute. Les plateaux d’experts et de décideurs sont souvent majoritairement masculins, rien de nouveau dans l’info.
Et dans le divertissement ? La téléréalité est « grande pourvoyeuse de sexisme » dit le HCE qui a utilisé pour son analyse le test de Bechdel (voir à l’écran deux femmes, qui parlent entre elles, d’autre chose que d’un homme). Les auteur.e.s de l’étude ont analysé une vingtaine d’épisodes de trois programmes : les Marseillais vs le reste du monde (W9); les Anges de la télé-réalité (NRJ12) et Koh-Lanta (TF1). Les candidates apparaissent partiellement dénudées à chaque épisode, et dans des tenues déconnectées de la situation : par exemple en peignoir transparent et talons aiguilles au petit-déjeuner, dans les parties communes de la maison. Quand il est question de maternité, c’est présenté comme «un gage de sagesse». Et les programmes encouragent le dénigrement et les rivalités entre candidates avec la « culture du clash »permettant leur visibilité. Le sexisme est au centre des insultes : «pute» ou «ta mère» tandis que les hommes sont enjoints ainsi : «t’es un homme, porte tes couilles. » Arracher aux femmes leur consentement à des relations sexuelles semble être banal tandis que les hommes se disent entre eux que c’est aux femmes de ranger la cuisine par exemple.
Bref, le sexisme éclate à l’écran : « traits de caractère et assignation à des tâches et rôles stéréotypés, sexualisation très présente et guidée par la recherche du « male gaze » (imposer un regard d’homme hétérosexuel, ndlr) et non par l’affirmation de la puissance du corps des femmes, procédés de dénigrement et de « clash » qui tournent à plein. Les femmes sont « présentées souvent comme stupides, faibles et rivales entre elles, elles ne sont que le faire valoir de ‘mâles dominants’. » analyse le HCE. Les concours de miss qui perdurent « ne parviennent à les extraire de leur rôle d’objet et non de sujet. »
Le « male gaze » est peut-être favorisé par le sexe des auteur.e.s : 8 % des fictions à la TV sont réalisées uniquement par une femme et 88 % des créateurs et créatrices de séries sont des hommes,
Politique : Chasse gardée.
Le monde politique n’échappe pas davantage au sexisme. Malgré les lois sur la parité, il fonctionne encore « comme une chasse gardée des hommes » dit le rapport. Les femmes y sont souvent considérées « comme des intruses, sujettes à des disqualifications et incivilités, notamment sous forme d’interruptions de leurs prises de parole, objets de comportements paternalistes et confrontées aux violences sexistes et sexuelles. »
A quelques jours des élections municipales, le HCE rappelle que 84% des maires et 92% des présidents d’intercommunalités sont des hommes.
Le HCE formule alors plusieurs recommandations. Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes qui recevait le rapport a insisté sur au moins deux d’entre elles. Les quotas qu’il faut renforcer encore parce que l’expérience montre que sans quotas, les hommes raflent toutes les places. Et « l’éga-conditionnalité » des financements publics. Elle a souligné que cette mesure existait pour les municipalités depuis 2014 et qu’il faudrait le rappeler aux prochaines équipes municipales.