Rencontre avec Anne Bideau, porte parole de l’ONG Plan International France à l’occasion de la sortie du rapport intitulé : « Laissez-moi être une enfant, pas une épouse – Le vécu des filles confrontées au mariage d’enfants ».

Douze millions de filles de moins de 18 ans sont mariées chaque année dans le monde. Pour alerter sur l’ampleur de ce fléau, l’ONG Plan International France, qui défend les droits des enfants et l’égalité des sexes dans le monde, a publié un rapport d’envergure ce 1er octobre. Parmi les données principales : 72 % des filles mariées deviennent mères avant 18 ans, moins d’une fille mariée sur cinq poursuit sa scolarité, 63 % se retrouvent sans études, sans emploi ni formation et sont tolamement dépendantes économiquement de leur mari. L’ONG appelle les Etats à « mettre fin à toutes les exceptions légales, à garantir l’âge minimum du mariage à 18 ans et à répondre aux besoins des filles déjà mariées. » Et répète que « L’égalité filles-garçons doit être placée au cœur des politiques publiques ». Entretien avec Anne Bideau, porte-parole de l’ONG
L’étude de Plan International porte sur une quinzaine de pays différents et compte plus de 250 témoignages. Comment avez-vous procédé ?
Anne Bideau – L’ONG Plan International France est présente dans plus de 80 pays dans le monde. On travaille de façon rapprochée avec plusieurs organisations de la société civile et des organisations féministes ou engagées pour l’éducation et l’autonomisation des filles et des femmes. On a donc pu s’appuyer sur eux pour avoir accès à ces chiffres et engager un dialogue avec des centaines de filles et de femmes. L’étude s’est focalisée sur une quinzaine de pays (Bangladesh, Niger, Mozambique, République dominicaine, etc), sur différents continents, pour avoir un échantillonnage aussi large que possible afin de d’esquisser la réalité du vécu de ces filles dans le monde. On a observé que le mariage des enfants est une violation essentielle des droits des enfants mais aussi un facteur d’insécurisation. On a voulu documenter cette menace considérable qui pèse sur les filles parce qu’elles sont 12 millions à être mariées tous les ans.
Quel est le vécu de ces filles une fois mariées ?
AB – Dans cette étude, nous voulions mettre en lumière ce vécu encore trop peu étudié. Après le mariage, elles se retrouvent isolées et disparaissent des politiques publiques et du système scolaire. Elles ne vont plus à l’école et sont enfermées dans un foyer qu’elles n’ont pas choisi, où elles sont victimes d’injustices, de pauvreté et de violences. Cet accès extrêmement dégradé à la santé, à l’éducation et à toutes formes d’autonomie doit être dénoncé. Avec ce rapport, nous voulions attirer l’attention sur le mariage d’enfant afin de prévenir de ce risque, mais aussi, quand ça arrive, pouvoir être à leurs côtés, les soutenir, les accompagner et leur permettre de sortir de ce mariage qui leur a été imposé.
Dans les pays majoritairement concernés par les mariages d’enfants, qui, sur place, peut agir et qu’est-ce qui peut être fait pour protéger ces enfants ?
AB – Il y a de nombreux leviers. Le premier, c’est celui du droit. Il est essentiel que les législations des différents pays interdisent le mariage des mineurs avant 18 ans et ne prévoient pas d’exemption, comme l’autorisation des parents ou les coutumes religieuses. Certains mariages ne sont même pas enregistrés officiellement mais il n’en reste pas moins que ce sont des unions qui vont s’imposer et transformer la vie de ces filles. Le deuxième levier est celui de la sensibilisation. Ce travail doit être mené avec les organisations de la société civile et avec le ministère de l’éducation et les autorités locales. Un autre volet important est de sensibiliser les représentants des communautés, les familles et les hommes. Il faut leur expliquer que ces mariages sont contraires au droit et leur montrer tout l’intérêt que les communautés auraient à accompagner leurs filles à grandir, à vivre comme des enfants puis à devenir des femmes instruites pour qu’elles aient accès à un emploi. Changer les mentalités prend du temps mais c’est le levier le plus efficace pour aboutir à des vrais changements sur la vie des filles. C’est un travail à tous les niveaux.
Les mariages d’enfants enfreignent les conventions internationales et les législations nationales. Quels recours juridiques existent ?
AB – Il y en a assez peu parce que les dispositifs n’existent pas forcément pour que les filles fassent appel à la justice dans différents pays. Il ne faut pas oublier qu’elles sont mineures. Mais il est absolument nécessaire que ces filles aient accès à un dispositif de conseil juridique, que peuvent apporter les associations et structures localement, pour les accompagner dans ces démarches et qu’elles puissent faire valoir leurs droits. C’est le grand souci : une fois qu’elles sont mariées, elles sont privées de leurs droits, leur droit à parler pour elles-mêmes, à choisir leur vie. Même lorsqu’elles parviennent à divorcer, elles se retrouvent dans une situation de marginalisation extrême. Une fois mariée, moins d’une fille sur cinq reste scolarisée et, une fois adulte, les deux tiers se retrouvent sans formation, sans travail et sans aucune capacité à accéder à l’autonomie. L’accès à l’éducation des filles est fondamental pour lutter contre le mariage des enfants. Plus une fille est scolarisée, moins elle a de risque d’être mariée enfant. C’est aussi ce qui va lui permettre d’accéder à un emploi et à une autonomie pour faire des choix pour sa vie.
L’ONG Plan International France existe depuis 1993. Les droits des filles ont-ils progressé dans le monde ?
AB – Si on regarde cette évolution sur du temps long, on progresse. Sur le nombre de mariage d’enfants aussi, on observe une réduction. Mais, ces dernières années, les droits des femmes reculent dans de nombreux pays. Il y a un facteur qui influe beaucoup sur les droits des filles : les crises (changement climatique, conflits armés, etc). Plus les pays ou les communautés sont exposés à des crises, plus les mariages d’enfants augmentent, les filles sont retirées de l’école plus tôt et l’ensemble de leurs droits se dégradent. Vu la situation mondiale actuelle, on est donc très inquiets de l’évolution sur les prochaines années.
Qu’attendez-vous des différents gouvernements et des organisations internationales suite à la publication de ce rapport ?
AB – Il faut que les différents États prennent les mesures nécessaires pour protéger les filles du risque du mariage. Mais, même une fois mariées, il faut pouvoir leur donner accès à la santé, à du conseil juridique et lutter contre les violences conjugales. Il faut que les pays, comme la France, maintiennent leur budget consacré à l’aide au développement et fassent de la lutte contre les mariages d’enfants une priorité. Douze millions de mariages d’enfants par an, ce n’est pas un épiphénomène, c’est une violence de masse contre les filles. Il faut que tous les États mettent les moyens pour lutter. Les 251 filles interrogées dans le rapport sont unanimes : aucune ne souhaite que sa fille soit mariée avant 18 ans. C’est un appel à tous se mobiliser pour que ça n’arrive plus.
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