Avec Rebelle, Pixar propose enfin une histoire emmenée par un personnage principal féminin. Et c’est une femme, Brenda Chapman, scénariste et réalisatrice, qui est à l’origine du film. Mais elle a dû finalement céder sa place à un homme à la tête du projet.
Vous l’aurez vite compris en voyant l’affiche : avec Rebelle, vous n’avez pas affaire à un film de princesse comme les autres. Mérida, jeune princesse de l’Écosse médiévale, semble moins prête à se trouver un prince charmant qu’à décocher une flèche au premier importun venu. La Rebelle de Pixar, après la Raiponce de Disney, met en scène une princesse qui n’a pas froid aux yeux, qui sait se battre et parcourt le pays au lieu de rester cloîtrée dans son château. Plus novateur encore : le film ne se conclut pas sur les épousailles de la princesse !
Jusqu’ici, les studios d’animation Pixar, loués pour leur originalité et leur créativité, n’avaient jamais choisi de personnage principal féminin. Des personnages féminins forts et complexes ont certes obtenu des rôles chez Pixar. Mais ce sont des personnages secondaires qui évoluent dans des univers dominés par des figures masculines (Toy Story, Cars). Au contraire, Rebelle cultive un « entre-soi » féminin. Avec l’histoire de la princesse Mérida, il est question du lien qu’elle tisse avec sa mère. Au fur et à mesure qu’elle grandit, ce lien va se défaire…pour mieux se renforcer. Elles surmontent les obstacles ensemble, sans qu’un preux chevalier de passage, ni même le roi, vienne miraculeusement les sauver. Elles vont apprendre à se battre afin de se protéger l’une l’autre, au gré des circonstances.
Six ans de création, puis écartée
Cette histoire, on la doit à Brenda Chapman (photo ci-contre). « Nous sommes au XXIème siècle et il y a tellement peu d’histoires qui s’adressent aux filles, racontées d’un point de vue féminin », remarquait la scénariste et réalisatrice. Elle avoue par ailleurs s’être inspirée de sa propre relation avec sa fille pour celle de la princesse Mérida et de sa mère Elinor. C’est elle aussi qui a voulu porter à l’écran sa passion de l’Écosse et de ses légendes. Elle s’y est d’ailleurs rendue en 2006 en compagnie des deux autres réalisateurs, Mark Andrews et Steve Purcell, au moment où il était prévu qu’ils travailleraient tous trois ensemble. Mais en définitive, fin 2010, la scénariste de Cars ou de Chicken Run a été écartée du projet sur lequel elle travaillait depuis six ans.1
Alors qu’elle l’a écrit et nourri de son vécu, ce n’est donc pas elle qui a mené le film à son terme. Il n’est certes pas rare que les réalisateurs soient remplacés selon les desiderata du studio. Ainsi le tchéco-britannique Jan Pinkava avait été écarté de la réalisation de Ratatouille après avoir écrit les grandes lignes du scénario. Néanmoins, dans le cas de Brenda Chapman, l’annonce a immédiatement suscité de vives réactions de ses collègues. « Brenda a été écartée car elle faisait un film non-conventionnel dans un studio qui craint l’échec », s’emportait l’un d’eux. Ses compétences de réalisatrice n’étaient plus à mettre en doute. Elle était la première femme à avoir réalisé un film d’animation, Le Prince d’Egypte, en 1998, en collaboration avec Steve Hickner and Simon Wells, pour les studios DreamWorks Animation – les mêmes studios qui ont confié à une autre femme, Jennifer Yuh Nelson, la direction du récent Kung Fu Panda 2.
« Cela change »
Sur l’éviction de Brenda Chapman, le studio Pixar s’est refusé à tout commentaire. Des « divergences artistiques » ont été évoquées. Placer une femme à la tête de la réalisation du premier film mettant en scène une héroïne aurait pourtant été un symbole fort. « Avec Rebelle, elle aurait été la première femme à diriger une production des studios Pixar », regrette Martha Lauzen, professeure à l’Université de San Diego et directrice du Centre d’Etudes sur les femmes dans l’industrie du cinéma et de la télévision. Elle ajoute cependant que ce revirement n’affecte pas la place importante que les femmes ont prise, et continuent de prendre, dans les coulisses de l’industrie cinématographique.
« Historiquement, l’industrie de l’animation était complètement dominée par les hommes : Disney, c’était un univers d’hommes », observe le directeur exécutif des studios DreamWorks, Jeffrey Katzenberg. Mais « cela change, et change rapidement », note-t-il. Dans les coulisses de cet univers, les femmes sont désormais aussi nombreuses que les hommes. Elles sont aussi visibles à la production : Rebelle, comme l’était par exemple l’oscarisé Toy Story 3, est d’ailleurs produit par une femme. Reste donc, chez Pixar, ce plafond de verre de la réalisation. Qui mérite de se voir décocher une bonne flèche.
La princesse et le prince charmant de Bérénice Béjo Ironie du sort, c’est Bérénice Béjo qui donne sa voix à la princesse Mérida dans la version française. Ironie, car l’actrice césarisée pour son rôle dans The Artist semble davantage dans la lignée de la Belle au bois dormant que dans celle de Rebelle. En mai dernier, au cœur de la polémique cannoise sur l’absence de réalisatrice, elle s’attirait les foudres de féministes en parlant ainsi sur France Inter de son rôle de maîtresse de cérémonie : « Il y a des choses que les femmes font mieux, peut-être, que les hommes. Il y a beaucoup plus d’infirmières que d’infirmiers. C’est le côté, je pense, maternel, la douceur d’une maman. Maîtresse de cérémonie, il y a un côté comme ça, contes de fées ; la porte s’ouvre et on a une jolie princesse qui sort »… Et en évoquant le personnage de Mérida, Bérénice Béjo (citée par rfi.fr) n’a pu s’empêcher de lui imaginer un futur prince charmant : « C’est une princesse moderne, c’est-à-dire, certainement un jour elle aura un prince charmant et des enfants, mais avant cela, elle va vouloir voyager, vivre sa vie, travailler. Je trouve cela un super message pour les filles d’aujourd’hui. Cela fait un contraste avec Blanche-Neige, Cendrillon. Le film va un petit peu plus loin. » |
1 Il aura fallu sept ans de travail avant que Rebelle voie le jour.