Sous des dehors bon enfant, les classements des femmes de l’année qui fleurissent en décembre sont le parangon du traitement réservé à la moitié de l’humanité dans les médias : un sous-genre qu’il faut tendre à communautariser. Par Marlène Schiappa
Classer les femmes de l’année pour mieux les oublier ?
Premier problème : établir un classement de femmes signifie cautionner l’absence de femmes dans les classements de « personnalités ». En théorie non genrés, ces classements ne promeuvent majoritairement que des hommes. Logique, puisque les autres classements ne s’encombrent même pas de la formulation « personnalité » pour aller directement à « homme » au sens sexué du terme. Le Parisien a par exemple publié un classement des « hommes les plus riches du monde » les échos un diaporama des «hommes les plus influents du monde »…
Quand ces classements ont la décence d’utiliser un terme neutre, c’est pour insérer une caution féminine (Christine Lagarde écope généralement de ce rôle) Dans le classement 2012 du Time, par exemple, on ne trouve que 2 femmes dans le top 10. Et je ne parle même pas des « classements de femmes » qui glissent un homme dans leur sélection : pourquoi alors, ne pas directement les intituler « classement de personnalités » au lieu de faire comme si le féminisme était réservé aux femmes ? On l’aura compris, le classement des femmes de l’année n’est qu’un pis-aller. « Oui vous êtes absentes des classements généraux, mais regardez on vous a fait une case rien que pour vous, avec du rose et des paillettes. Alors, heureuses ? »
Les femmes communautarisées
Deuxième problème : établir ou cautionner des classements de « femmes de l’année » revient à ghettoïser les femmes, et à entretenir une forme de communautarisme que beaucoup déploraient pourtant sous Sarkozy. Cette année, on m’a par exemple demandé d’établir mon « classement des mères de l’année ». Au point où on en est, pourquoi ne pas dresser également le classement des femmes stériles de l’année, des Noirs de l’année, des transplantées du rein avec un quart de sang chinois de l’année… ? La BBC ne s’était sans doute pas posée ces questions l’an dernier quand elle a classé un panda dans le « top des femmes de l’année. » Certains médias jouent sur les mots et dressent leur classement des « femmes qui en ont fait le plus pour la cause des femmes cette année ». Sous-entendu, on ne classe pas juste les ménagères ou les égéries L’Oréal, on classe les femmes « qui-en-ont. » Sauf que ce type de classement hyper-personnalisé n’est pas adapté aux groupes féministes actuels, qui la jouent collectif, de La Barbe aux Femen en passant par Osez le féminisme, quoi que l’on pense de ces groupes.
Kate Middleton, Rihanna et Valérie Trierweiler, des « modèles » ?
Troisième problème, le fond de ces classements. L’an dernier, nous avions été gâtées avec dans la plupart des top 10, la présence de Kate Middleton dont le seul fait d’armes était d’avoir épousé en grandes pompes et en direct à la télé un type qui s’avère être le petit-fils d’une monarque (pour l’avancée des droits des femmes et pour la promotion de l’égalité, on repassera) ou d’Anne Sinclair, dont la présence aurait été tout à fait bienvenue si elle était légendée par ses activités professionnelles et non pour sa vie privée. Ajoutons Audrey Pulvar, ou Rihanna qui sont présentes dans de nombreux « top » et nous comprenons le message sous-jacent : pour être « femme de l’année », sois « femme ou ex-femme de quelqu’un ». Certains osent même recycler Valérie Trierweiler / Ségolène Royal. Première femme au deuxième tour d’une élection présidentielle, cette dernière est souvent présentée comme « l’ex de l’actuel président ». D’autres, comme auféminin font cohabiter Malala avec des stars de la chanson ou des « femmes de ». Quand les médias daignent citer des femmes qui ont « fait l’actualité », c’est toujours en les renvoyant à une position de victime avec un cynisme odieux : une femme licenciée ou violée, par exemple, fera un très bon parangon de « femme de l’année », pour eux. Enfin, n’oublions pas la dose de démagogie essentielle à un tel classement, comme Daphné Bürki dans son émission consacrée au sujet, qui a osé dire que « la femme de l’année, c’est la maman qui se lève la nuit… » Et si c’est « le papa » ? Allez, puisque la démagogie est à la mode, cœurs, papillons et dauphins à paillettes pour tout le monde, comme diraient mes amis Facebook, « nous sommes toutes les femmes de l’année, oui même vous Monsieur. » Bonne année à tou-te-s…
Marlène Schiappa, présidente de l’association « Maman travaille »
www.journee-mamantravaille.com
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