Après la vaste enquête de Mediapart, Marianne sort une « contre-enquête » dans laquelle l’accusé accuse Adèle Haenel de vouloir se venger. Classique, pour dissuader les femmes de parler.
Début novembre, le journal en ligne Médiapart diffusait une vaste enquête dans laquelle l’actrice Adèle Haenel dénonçait des agressions sexuelles qu’elle aurait subies à l’occasion de son premier tournage en 2002 dans le film Les Diables. En cause : le réalisateur du film Christophe Ruggia mais aussi tout le système de pouvoir qui maintient l’omerta et rend ce type d’agressions possibles. Elle était âgée de 12 à 15 ans à l’époque des faits.
Voir : Adèle Haenel s’attaque à la responsabilité collective dans les agressions sexuelles
L’actrice évoquait « l’emprise » que le cinéaste aurait exercée sur elle, un « harcèlement sexuel permanent », des « attouchements » répétés et des « baisers forcés dans le cou », qui auraient eu lieu chez lui et lors de plusieurs festivals internationaux. Dans cette première enquête, Christophe Ruggia, n’avait pas souhaité s’exprimer dans les colonnes de Médiapart qui affirme l’avoir sollicité.
Le réalisateur s’était exprimé ailleurs, récusant toute agression, mais reconnaissant avoir « commis l’erreur de jouer les pygmalions ». Il demandait à l’actrice de lui « pardonner ». Adèle Haenel, qui, en un premier temps, avait refusé de porter l’affaire en justice parce que, disait-elle, la justice « condamne si peu les agresseurs » a, finalement décidé de porter plainte fin novembre contre Christophe Ruggia, après que le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « agressions sexuelles sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité » .
L’affaire avait déclenché de solides empoignades dans les médias s’accusant mutuellement de privilégier un « tribunal médiatique » face à la justice, installant ainsi une confusion propre à remettre le couvercle sur la libération de la parole des femmes.
Voir : Tribunal médiatique, l’homme/ l’œuvre, Polanski, Haenel… questionnons les questions
Et voici que le magazine Marianne, sort une « contre-enquête » toute en paradoxes. Avec en conclusion cette phrase étrange : « si on osait, on dirait que la chose est trop sérieuse pour être confiée à… des journalistes ». Le magazine se livre à des contorsions en écrivant : « Que montre notre contre-enquête ? Sur ce qu’il s’est passé lorsque la jeune Adèle Haenel et Christophe Ruggia étaient seuls ? Rien. Il faut le dire. Et encore une fois écrire qu’il n’est pas question ici de mettre en doute la parole de l’actrice. » La contre-enquête, pourtant, offre à Christophe Ruggia une tribune pour sortir des arguments assez classiques accusant son accusatrice de vouloir se venger de quelques frustrations, n’ayant pas été choisie pour tourner dans d’autres films. Ce qui paraît bien étrange venant d’une actrice qui est aujourd’hui au sommet de sa gloire.
Le magazine met aussi en cause deux témoins interrogés par Médiapart qui auraient dit la même chose parce qu’ils étaient en couple. Pour Marianne, le fait que Médiapart n’ait pas précisé que ces deux étaient en couple est suspect. Marianne ne s’appesantit pas sur les multiples autres témoignages de la première enquête, pas plus que sur ceux recueillis par d’autres journaux. Comme celui de Christel Baras, la directrice de casting qui a découvert Adèle Haenel à 11 ans et dit dans Le Monde que quelque chose la dérangeait sur le plateau, qu’elle avait tenté d’en parler à Christophe Ruggia. « Mais sa réponse a été qu’il ne voulait plus de moi sur le plateau. » Malgré tout cela, malgré d’autres affaires qui ont permis de libérer la parole des femmes, le magazine revient à la méthode qui a permis si longtemps de maintenir l’omerta : la victime d’agression sexuelle prend le risque d’être accusée de mentir pour se venger. Le message vaut pour toutes les femmes qui voudraient s’aventurer à dénoncer leurs agresseurs. Et Marianne fait un petit coup médiatique. Le service de presse du magazine a envoyé sa contre-enquête en avant-première à ses confrères pour qu’ils en parlent…
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