Le tribunal de Paris a estimé qu’une faute des services de police a mis un conjoint violent « en position de commettre les trois assassinats » et condamné l’Etat à verser 100.000 euros d’indemnités à la famille.
C’est une décision de justice rarissime et qui va dans le sens des efforts demandés à l’Etat par les associations de lutte contre les violences faites aux femmes pour prévenir les féminicides. Une décision prise suite à la mise en cause du « fonctionnement défectueux du service public de la justice » par la sœur de la victime d’un féminicide, Cathy Thomas, et son avocate Isabelle Steyer.
Lorsqu’elle et ses parents ont été assassinés par son ancien conjoint, Isabelle Thomas était au téléphone avec police secours ce 4 août 2014 à Grande-Synthe (Nord). Mais cette professeure de mathématiques de 49 ans avait déposé plusieurs plaintes avant ce jour.
Les violences avaient commencé dès le début de sa relation avec son assassin. Elle n’en avait rien dit jusqu’à ce que l’infirmière et assistante sociale du lycée dans lequel elle travaillait, découvre des traces de strangulation et l’incite à porter plainte. Elle dépose alors une première plainte pour violence conjugale le 27 juin 2014 et retourne vivre chez ses parents à 130 km du domicile conjugal. L’ex-compagnon est alors placé en garde à vue puis sous contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer en contact avec Isabelle Thomas, (Il devait être jugé le 13 août). Mais il ne respecte pas cette interdiction et continue de harceler, menacer et suivre son ex-compagne chez ses parents et jusque devant chez son avocate. La victime dépose alors une seconde plainte le 10 juillet, puis une main courante le 23 juillet. L’ex-conjoint est alors convoqué par la police mais ne se présentera jamais au commissariat. Interpellé après le triple assassinat le 4 août, il se suicide en prison au mois d’octobre, ce qui met fin à la procédure pénale.
Mais la sœur et fille des victimes, Cathy Thomas, et son fils décident d’assigner l’Etat le 30 novembre 2018. Trois griefs : mise en place d’un contrôle judiciaire inadapté, absence de réponse face au non-respect du contrôle judiciaire et carence des services de police au moment des assassinats. » Le Tribunal retient le deuxième grief. Il estime qu’une « faute » a été commise par les services de police. Ils n’ont « pas tout mis en œuvre » pour retrouver celui qui violait son contrôle judiciaire : « les services de police n’ont effectivement pas tout mis en œuvre pour retrouver l’auteur des faits, et cette négligence fautive a conduit à la perte d’une chance de faire révoquer le contrôle judiciaire, estime le tribunal. (…) Cette faute des services de police a ainsi mis Patrick Lemoine en position de commettre les trois assassinats. » Et l’Etat est condamné à verser 100 000 euros de dommages et intérêts pour «faute lourde.»
L’avocate Isabelle Steyer voit dans cette décision de justice « un acte constructeur et constructif » ainsi qu’elle le dit sur France Info,une première étape pour en finir avec ce qu’elle dénonce : « une inapplicabilité incroyable du droit pénal et du droit de la procédure pénale, concernant les femmes victimes. Il y a une espèce de discrimination à l’égard des femmes victimes de violences qui est inconcevable. C’est qu’à partir du moment où une femme entre dans un commissariat, elle a une chance sur deux de ne pas être entendue. » Pour elle, les efforts doivent aussi se porter sur le repérage, par les policiers, de la dangerosité. Dans Marie-Claire, elle cite des textos de l’assassin : « ‘tu es toujours à moi, ne l’oublie pas. Je te laisse du temps mais je reviendrai vers toi, je ne te lâcherai pas’ ». Et elle explique : « Quand un homme est dans ce sentiment de toute puissance, le risque de passage à l’acte est extrêmement fort. Il manque aux services de police et de l’État, une grille d’évaluation pour connaître et repérer les critères de dangerosité. »
Un sujet qui avait été abordé lors du Grenelle des violences conjugales : GRENELLE DES VIOLENCES : TOUT COMMENCE PAR LES VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES
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