Comment faire face à une augmentation probable du harcèlement de rue et des violences sexuelles au sortir du confinement ? Entretien avec Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Egalité entre femmes et hommes.
LNN : Qu’est-ce qui vous fait craindre une hausse du harcèlement de rue et des violences sexuelles après le confinement ?
La période du confinement a malheureusement été accompagnée d’une hausse des violences conjugales, comme nous l’avions pressenti. Par ailleurs, seulement 1 % des violeurs sont en prison. Quand les 99 % qui sont confinés vont sortir on peut s’attendre au pire. Les violeurs et agresseurs sexuels sont le plus souvent des récidivistes. En outre la consommation de porno a explosé pendant cette période. Dans mon rapport sur les menaces pesant sur les femmes à la suite du Covid pour la Fondation Jean Jaurès, j’ai par exemple recensé l’étude d’une ONG indienne qui a alerté: les mots clés utilisés pour les recherches sur des sites X ont été de plus en plus violents à mesure qu’on avançait dans le confinement. Un phénomène de décompensation collective de la part d’hommes qui sont restés enfermés seuls deux mois est à craindre.
Le harcèlement de rue a-t-il connu un répit pendant le confinement ?
Non. De nombreux témoignages via les associations, sur les réseaux sociaux ou dans la presse rapportent des situations de harcèlement nombreuses au regard du peu de personnes circulant dans les rues en ce moment. Des femmes recommencent à avoir peur de sortir même le jour. Nous devons combattre le sentiment d’impunité de ceux qui se permettent de harceler.
Vous préparez, avec un groupe d’expert.e.s un plan de prévention des violences sexuelles. De quoi s’agit-il ?
Ce groupe doit faire connaître ses recommandations la semaine prochaine. Il est composé de spécialistes des neurosciences, avocat.e.s, responsables d’associations, publicitaires, metteurs en scène féministes, « influenceuses »… J’ai tenu à avoir des regards croisés car il s’agit de sensibiliser l’ensemble de la société et surtout ne pas aboutir à des messages qui diraient aux femmes « ne sortez pas », ce serait la pire des régressions.
Votre ministère a déjà engagé une réflexion et peut-être des actions, quelles en sont les grandes lignes ?
Oui nous travaillons au plan de déconfinement coordonné par Jean Castex. Nous devons communiquer fortement et rappeler la loi afin que chacun et chacune se sente concerné, dénonce et prévienne les violences sexuelles. On a trop longtemps banalisé ces violences, il faut rappeler les peines encourues pour ancrer les interdits. La loi contre le harcèlement de rue est récente elle a moins de deux ans, je continue de la faire connaître. Nous travaillons également avec le ministre de l’Intérieur pour mobiliser les policiers.
Certaines militantes suggéraient avec humour de déconfiner d’abord les femmes pour qu’elles soient un peu tranquilles dans les rues. Cela pourrait provoquer une prise de conscience non ?
(Rire…) On nous dirait que ce serait de la discrimination envers les hommes. Et puis l’opinion a encore du chemin à parcourir sur les questions d’égalité femmes-hommes. J’observe que lorsqu’il est question de violences conjugales, plus personne n’ose contester la nécessité d’agir. Mais quand je parle de la mauvaise répartition des tâches domestiques, étude chiffrée à l’appui, je me heurte à des réactions agacées de la part d’hommes, mais aussi de femmes. Comme si elles étaient toujours, comme l’explique Elisabeth Badinter dans « L’amour en plus », condamnées à exprimer leur « volonté de puissance » dans la gestion du foyer. La société nous conditionne encore ainsi. Le sujet est considéré comme mineur. Pourtant il est loin d’être déconnecté de celui des violences. L’investissement des femmes dans la sphère domestique pénalise leur carrière, les met en infériorité économique et les rend plus vulnérables à la violence.
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