Attention mansplaining de compétition ! L’essayiste Pascal Bruckner est dans tous les médias pour dire à quel point la parole de l’homme blanc est brimée.
« Le bouc émissaire blanc a par ailleurs accès aux médias comme on peut le constater ce soir et d’une manière générale » C’est avec un sourire poli et une pointe d’exaspération que la journaliste Marion Ruggieri, a interpellé Pascal Bruckner sur le plateau le C à vous sur France 5 le 13 octobre dernier. L’essayiste qui vient de sortir « Un coupable presque parfait » (Grasset) pleure des larmes de crocodile sur le « bouc-émissaire » que serait devenu selon lui « le mâle blanc hétérosexuel ». Bruckner dénonce l’antiracisme, le féminisme, la défense des minorités, qu’il qualifie de « compétition victimaire. » Une compétition qu’il est en passe de gagner haut la main avec l’homme blanc !
Il infuse sa complainte de plateau télé en radios en passant par la presse écrite. Grands quotidiens nationaux et régionaux, télé hertziennes, chaînes d’info en continu, radios nationales, pas un média n’y échappe. Et rien ne l’arrête. Si le journaliste de RTL Vincent Parizot lui demande (ici) « est-ce que nous ne craignez pas un petit peu qu’on vous traite de parano ? » L’écrivain affirme qu’il appuie ses raisonnements sur des faits. Mais ces faits sont parfois approximatifs, inventés, tordus par ses soins.
Le journal Le Monde a souligné que Bruckner n’hésitait pas à raconter n’importe quoi. Dans un long portrait publié en avril dernier dans M le Mag alors que Bruckner venait de rejoindre le jury du Prix Goncourt, Dominique Perrin écrit : « Il pousse son raisonnement jusqu’à attribuer à Haenel et Despentes des revendications que, jamais, elles n’ont formulées. » Pascal Bruckner a déclaré : « Leur objectif, c’est de détruire l’hétérosexualité, ce qui était déjà le but de certaines féministes anglo-saxonnes, dans les années 1990.»
Sur France Culture dans l’émission La grande table des idées, quand il accuse le #mouvement #MeToo de s’en prendre à d’innocents hommes blancs, il s’abrite derrière une tribune d’avocates pénalistes pour valider son propos. La journaliste Olivia Gerbert doit hausser le ton pour dire que ces mêmes pénalistes affirment qu’on a un problème avec l’institution et que les agressions sexuelles restent trop impunies.
Et bien-sûr, il s’en prend à Alice Coffin, la militante féministe élue à la mairie de Paris en déformant ses propos. Dans son livre « Le génie lesbien » (Grasset), elle rappelle que nos nourritures culturelles sont quasi-exclusivement produites par des hommes et veut éliminer de ses lectures les livres d’hommes par exemple. Bruckner affirme qu’elle veut « éliminer les hommes » et il en rajoute : « ça veut dire exterminer »…
Sur RTL, il reproche aux féministes d’avoir « refusé de condamner les agresseurs parce qu’ils étaient originaires du Maghreb ou du Moyen orient » après la nuit de la Saint-Sylvestre 2015/2016 à Cologne en Allemagne. Il n’en dit pas plus. Où est-il quand les féministes protestent contre les violences sexuelles en général ? Pourquoi les enjoindre à les dénoncer à Cologne plus qu’ailleurs ? A l’époque, l’Allemagne accueillait des réfugiés et la situation était compliquée. (lire : Cologne : les agressions sexuelles de la nuit du réveillon alarment l’Allemagne et aussi « Après Cologne. Le viol et nos hommes » Par Joumana Haddad.)
L’homme présenté comme « un intellectuel » est de tous les combats contre le féminisme : en novembre 2013 par exemple, il signe le « Manifeste des 343 salauds », bras d’honneur aux féministes, publié par le magazine Causeur, (Lire : Tu montes, salaud ?)
Comme son compagnon d’écriture de jeunesse Alain Finkielkraut, il s’en prend à la jeune activiste pro-climat Greta Thunberg. Dans une tribune publiée dans Le Figaro en avril 2019, il considère notamment qu’elle est la représentante d’une « dangereuse propagande de l’infantilisme climatique » et l’attaque sur son physique. (Lire aussi : « On ne peut plus rien dire !» Quand Finkielkraut perd le monopole de la parole »
S’il jette l’anathème sur ce qu’il appelle les « néo-féministes », Bruckner dit aimer les anciennes féministes comme Beauvoir à laquelle il fait dire uniquement ce qui l’arrange, lui…… Simone de Beauvoir dénonçait pourtant la domination masculine.
En fin de tournée dans les médias, Bruckner a eu le culot de dire qu’il lui serait plus facile de passer dans les médias s’il était «une femme, musulmane et noire». Puis il a remis une pièce dans le jukebox accusant, sur le plateau de 28 minutes sur Arte, le 21 octobre, la militante Rokhaya Diallo d’avoir, dans une tribune, participé à entraîner « la mort des douze de “Charlie Hebdo” ». « Vous avez, avec d’autres, poussé à la haine contre “Charlie Hebdo” et armé le bras des tueurs. Assumez la responsabilité de vos actes » a-t-il affirmé simplifiant un débat autrement complexe sur la liberté d’expression et la responsabilité de la parole, celle des anti-racistes comme celle des racistes. Le lendemain, dans la matinale de France Inter, interrogé sur l’abominable attentat terroriste qui a coûté la vie au professeur Samuel Paty, il a dit craindre que les résolutions du gouvernement ne tiennent pas une fois l’émotion retombée et craindre surtout «l’action d’un déséquilibré, d’un extrémiste, qui va aller tirer sur une mosquée ou frapper des femmes voilées : si un tel événement se produisait ou se répétait plusieurs fois, nous perdrions l’avantage moral que nous avons gagné en tant que nation victime du terrorisme islamiste. » Glaçant ! Qui serait alors accusé d’armer le bras des tueurs ?
L’essayiste, en tout cas, a pris l’avantage moral sur les féministes. Avec la couverture médiatique dont il a bénéficié, c’est lui qui qualifie et disqualifie. Il qualifie les hommes blancs de victimes, disqualifie les féministes. Sur Twitter, Sébastien Fontelle a souligné la mise en abyme du processus de victimisation quand Bruckner s’autoproclame victime d’invisibilité dans les médias qui lui déroulent un tapis rouge.
Rares images de Pascal Bruckner expliquant partout à la radio et à la télévision qu'il lui serait tellement plus facile de passer partout à la radio et à la télévision s'il était «une femme, musulmane et noire». pic.twitter.com/eB0p5iSlvT
— Sébastien Fontenelle (@vivelefeu) October 22, 2020