«Ville, médias, politique… quelle place pour les femmes ?» c’est la question que pose Lauren Bastide, journaliste et créatrice du podcast « la Poudre », engagée au sein de l’association « Prenons la Une », en sous-titre de son livre Présentes*. Car « ce qu’il y a de plus redoutable dans l’invisibilisation des femmes, c’est qu’elle est invisible » écrit-elle. Avec les penseuses et militantes féministes qu’elle a reçues lors d’un cycle de conférences à Paris, elle compte, analyse, décortique et aligne les chiffres des inégalités que les journalistes devraient être les premiers à dénoncer. Plus de 75 % % des personnes citées par les médias d’information sont des hommes et ils ne dénoncent pas la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir.
Pourtant, « Présentes » a trouvé un très bel écho dans les médias d’information générale. Sur les ondes, de RTL à Canal+ en passant par France5, dans les journaux d’information générale ou des journaux économiques comme Challenges ou les Echos et dans quelques féminins. Mais après ? Ces médias iront-ils plus loin en remettant en question le (mal)-traitement journalistique des femmes ? Y aura-t-il davantage de femmes « présentes » à leur micro et dans leurs colonnes ? Entretien.
LNN : Quel a été l’accueil réservé à votre livre dans la presse ?
Lauren Bastide : Beaucoup de médias en ont parlé, en France et aussi en Belgique. Ils ont parfois réalisé de longs sujets. Mais le premier constat que je peux faire est que 90 % des journalistes qui m’ont interviewée étaient des femmes. C’est une bonne nouvelle car de plus en plus de femmes journalistes arrivent à faire avancer le sujet dans leur rédaction. Mais c’est aussi un peu inquiétant. Comme si les seul.es journalistes qui avaient lu le livre et voulaient en parler étaient déjà convaincu.es. J’ai constaté aussi qu’une partie des femmes qui m’ont interviewée étaient pigistes, donc pas en position de pouvoir dans leurs rédactions. Cependant, de plus en plus de féministes ont un pied dans la porte des rédactions, comme autant d’agents infiltrés.
LNN : Les études GMMP de Mediawatch que vous citez existent depuis 1995, d’autres ont été réalisées par l’INA ou le CSA aboutissant aux mêmes conclusions d’invisibilisation des femmes. Et pourtant, on a l’impression que les journalistes qui vous ont interviewée les découvrent. Est-ce qu’en lisant votre livre ils ont eu envie de bouger ?
LB : Certaines données sont désespérantes, d’autres rendent optimistes. Quand on voit que le nombre de femmes expertes dans les médias a chuté au début de la crise sanitaire, c’est désespérant. Quand j’entends les journalistes m’apporter la contradiction en citant quelques noms de femmes visibles, c’est désespérant aussi. Quelques noms ne font pas la parité. Quand on nous dit qu’un média féministe est un média « de niche », alors qu’il veut parler des 52% de la population qu’on ne voit pas, on se dit qu’il y a encore du travail.
LNN : Et qu’est-ce qui rend optimiste ?
LB : Certains journaux commencent à se donner des objectifs chiffrés comme le Temps en Suisse qui a un « baromètre de la parité » ou Ouest-France qui commence à le suivre sur cette voie. Le Monde a fait une série de reportages sur les féminicides qui a fait bouger les lignes. Libération a lancé une newsletter féministe, Médiapart a créé un poste de gender editor. Comme je l’explique dans Présentes, une femme engagée et à la tête d’un grand média peut changer les choses, comme Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions qui a donné un objectif de 40 % d’expertes dans ses médias et ça a marché !
LNN : Comment bousculer encore la hiérarchie de l’information ?
LB : Je reprendrais les recommandations de Prenons la Une. Continuer de documenter, compter, rendre visible l’invisibilisation des femmes. Sur le plan plus large, ne plus tolérer de concessions et cesser d’être polie, de ravaler notre colère ».
*Présentes, Lauren Bastide, Allary Éditions, 2020.
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