
Naomi Osaka, Wimbledon 2017
La star du tennis mondial quitte le tournoi de Roland Garros pour échapper à la pression des médias et à la dépression. Organisateurs et journalistes s’en offusquent, parfois sur un mode sexiste.
« Et pourtant, elle compte pas moins de 4 millions de followers sur les principaux réseaux sociaux où elle se met en scène en permanence chez elle en bikini ». Cette remarque du reporter sportif dans le journal de 7 heures sur France Inter le 1er juin dernier résume le malaise entre sportives et médias. Une réflexion gratuite, dans la droite ligne de réactions jetant l’opprobre sur Naomi Osaka, la championne qui a préféré renoncer à un tournoi de tennis du grand chelem pour échapper à la presse et protéger sa « santé mentale ».
Résumé des épisodes précédents : Naomi Osaka, 23 ans, numéro 2 mondiale de tennis, quadruple lauréate en grand chelem, refuse, dimanche 30 mai, de se présenter à la conférence de presse après avoir gagné son premier match du tournoi de Roland-Garros. Illico, les représentants de quatre Fédérations du Grand Chelem lui infligent une amende de 15000 dollars (12300 euros) et la menacent de disqualification si elle recommence. Dès mercredi, elle avait annoncé sur les réseaux sociaux qu’elle ne participerait pas à ces conférences d’après match mais préférait n’apparaître devant les journalistes qu’à la fin du tournoi. Les organisateurs l’avaient alors menacée de sanctions financières et plus. « Nous avons prévenu Naomi Osaka que si elle continuait à refuser ses obligations médiatiques durant le tournoi, elle s’exposait à des sanctions plus dures, y compris une exclusion du tournoi. » écrivaient-ils dans un communiqué. Ils ont mis leur menace à exécution.
Lundi 31 mai, la joueuse annonce sur twitter qu’elle abandonne Roland-Garros. « La meilleure chose pour le tournoi, les autres joueuses et mon bien-être est que je me retire pour que chacun puisse se reconcentrer sur le tennis ». Elle ajoute qu’elle a traversé de « longues périodes de dépression depuis l’US Open 2018 »
— NaomiOsaka大坂なおみ (@naomiosaka) May 31, 2021
En un premier temps les critiques qui ont fusé dans les médias exprimaient de la vexation sur le mode « mais pour qui se prend-elle.» Le journaliste de France Inter met sur le même plan des photographies réalisées et diffusées par la joueuse et le feu roulant de questions et critiques à la sortie d’un match éprouvant. Le journaliste britannique Piers Morgan, connu outre-Manche pour ses salves sexistes, aurait traitée Naomi Osaka d’enfant gâtée, de « princesse arrogante». Le quotidien sportif L’Equipe voit la numéro 2 mondiale « dépassée par la polémique qu’elle a initiée » et, par conséquent, met hors de cause les organisateurs qui imposent ces conférences de presse, ces conférences de presse elles-mêmes ou les journalistes qui posent des questions qu’ils espèrent déstabilisantes. Et beaucoup de journalistes ont ressorti des citations de joueurs et joueuses disant que sans médiatisation, les sportifs ne seraient pas ce qu’ils sont.
Plutôt que de faire des élucubrations sur ce que cela dit d’elle, il faudrait peut-être se demander ce que cela dit de nous.
La parole de la joueuse n’a été prise en compte qu’en un second temps, après qu’elle a déclaré forfait. Le vice-président de la Fédération française de tennis Gilles Moretton s’est exprimé très brièvement en des termes plus amènes : « Le retrait de Naomi de Roland-Garros est une issue malheureuse. Nous lui souhaitons le meilleur et le plus prompt rétablissement possible, et nous espérons revoir Naomi à notre tournoi l’année prochaine. » Et il a quitté la salle de presse immédiatement après sa déclaration… sans se soumettre à des questions de journalistes.
Avant que de nombreux « psys » partout dans le monde viennent expliquer à quel point la santé mentale des joueurs et joueuses peut être altérée par les relations avec les médias, le journaliste du Guardian Jonathan Liew, critiquait le comportement de ses confrères et des organisateurs du tournoi. Pour lui, « la conférence de presse moderne (…) est un jeu cynique et souvent prédateur dont le but est de tirer le plus de contenu possible du sujet. Ragots : bien. Colère : bien. Les querelles : bien. Larmes : bien. Tragédie personnelle : bon. » et les jeunes athlètes, doivent répondre aux questions les plus intimes dans le cadre le moins intime, devant un groupe d’inconnus et un morceau de carton sponsorisé.»
Et bien sûr c’est pire pour les femmes, sans cesse interrogées sur leur côté sexy. Le journaliste du Guardian rappelle deux exemples : «Question : « J’ai remarqué que vous avez tweeté une photo. Êtes-vous préparée à l’idée que vous pourriez être présentée comme un sex-symbol, étant donné que vous êtes très belle ? » (Eugenie Bouchard, Wimbledon 2013.) Question : « Vous êtes une pin-up maintenant, surtout en Angleterre. Est-ce que c’est bien ? Est-ce que ça vous plaît ? » (Maria Sharapova, 17 ans, Wimbledon 2004). En 2016, une étude américaine démontrait ce que l’on peut remarquer en écoutant les interviews et commentaires : les questions posées aux sportives évoquent leur vie intime plus que leurs performances sportives. Et c’est bien sûr l’inverse pour les sportifs.
Et le journaliste du Guardian de conclure : « Une des meilleurs athlètes du monde préfère abandonner un tournoi du grand chelem plutôt que de devoir parler à la presse. Plutôt que de faire des élucubrations sur ce que cela dit d’elle, il faudrait peut-être se demander ce que cela dit de nous. »
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