Contrairement aux générations précédentes, chez les 18-30 ans, un fossé idéologique se creuse entre femmes et hommes. En cause : #MeToo et surtout les « bulles de filtre » des réseaux sociaux qui limitent l’information de la Génération Z.
« Comment interpréter les chiffres selon lesquels la génération Z est hyper-progressiste sur certaines questions, mais étonnamment conservatrice sur d’autres ? » demande le journaliste du Financial Times spécialisé dans l’analyse des données John Burn-Murdoch.
Il a passé à la loupe des sondages Gallup, des enquêtes menées dans quatre pays et repris les recherches d’Alice Evans, professeure à l’Université Stanford, sur la « divergence des genres ». Et la réponse est dans cette divergence.
Divergence des genres
Entre les années 80 et 2010, la variable sexe n’influençait pas les opinion politiques. Mais à partir de 2010, le clivage est très net. Les jeunes femmes de 18 à 30 ans deviennent de plus en plus progressistes et féministes tandis que les hommes deviennent de plus en plus réactionnaires.
Aux États-Unis, « les données de Gallup montrent qu’après des décennies pendant lesquelles les deux sexes étaient répartis également à travers les visions du monde libérales et conservatrices, les femmes de 18 à 30 ans sont maintenant de 30 points de pourcentage plus progressistes que leurs homologues masculins. Il a suffi de six ans pour atteindre cet écart » résume John Burn-Murdoch,
Et « L’Allemagne affiche également un écart de 30 points et au Royaume-Uni, l’écart est de 25 points. En Pologne l’année dernière, près de la moitié des hommes âgés de 18 à 21 ans ont soutenu le parti d’extrême droite Confédération, contre seulement un sixième des jeunes femmes du même âge. » En dehors de l’Occident, c’est encore pire. Même tendance en Corée du Sud, en Chine, en Afrique ou la Tunisie avec des écarts pouvant aller jusqu’à 50 points. Et le clivage idéologique entre femmes et hommes est soit exclusif à la jeune génération, soit beaucoup plus prononcé dans la génération Z que chez les plus de 30 ans.
Pourquoi un tel « gender gap » idéologique ? Deux explications corrélées. Le mouvement #Metoo et les « bulles de filtres » des réseaux sociaux.
#MeToo et bulles de filtres
#MeToo a permis aux femmes de prendre conscience des injustices qu’elles subissaient, de rendre la parole et se révolter. Tandis que les hommes ont pu se sentir menacés dans leurs privilèges et fragilisés. Davantage exposés au chômage ils ont aussi développé des discours anti-immigration et se sont laissés séduire par des partis conservateurs « le ressentiment est plus élevé parmi les hommes pensant que les institutions de leur pays sont injustes, et qui connaissent un taux de chômage en croissance et une compétition accrue pour l’emploi » explique John Burn-Murdoch.
Les opinions de ces jeunes sont guidées par des « bulles de filtres » des réseaux sociaux. Il s’agit d’algorithmes conçus de telle manière que chacun.e ne voit quasiment que ce qui confirme ses opinions. Ces algorithmes conduisent vers des sources d’information polarisées. Et la jeune génération qui s’informe via les réseaux sociaux risque fort de creuser le « gender gap » et plus globalement le fossé entre conservateurs et progressistes.
Les conservateurs dominent la Toile. Plusieurs études montrent que les algorithmes reproduisent le sexisme. Le numérique est une fabrique à sexisme. Le succès de nombre « d’influenceurs » masculinistes comme Andrew Tate a de quoi inquiéter.
Conséquences politiques
John Burn-Murdoch montre que cette tendance a d’inévitables conséquences politiques ou électorales. Il cite l’exemple de la Corée du Sud « où l’inégalité entre les sexes reste criante et où la misogynie pure et simple est courante ». #Metoo a donné l’étincelle. Lors de l’élection présidentielle de 2022, les hommes et les femmes de plus de 30 ans ont voté comme avant. Mais les jeunes hommes se sont fortement ralliés au parti de droite People Power, tandis que les jeunes femmes ont soutenu le parti démocrate libéral dans des proportions presque égales et opposées. Et il constate : « la société coréenne est divisée en deux. Son taux de mariage s’est effondré, et le taux de natalité a chuté de manière précipitée, tombant à 0,78 naissance par femme en 2022, soit le taux le plus bas de tous les pays du monde. »
Les tenants du « réarmement démographique » ont du souci à se faire.


