Dominique Strauss-Kahn est inculpé pour « agression sexuelle ». Jusqu’ici d’autres affaires avaient été promptement étouffées. Les médias font de lui une victime. Un travers bien français. (Article repris dans le Guardian).
Les faits qui ont conduit à l’arrestation de Dominique Strauss-Khan à New York ne sont pas encore clairement connus, mais le discours médiatique qui entoure cette affaire confirme une nouvelle fois que, de ce côté-ci de l’Atlantique, en cas de viol ou de harcèlement sexuel, le coupable présumé est vite transformé en victime et vice-versa.
Dominique Strauss-Kahn est inculpé « d’agression sexuelle, de séquestration de personne et de tentative de viol » par le parquet de New York pour avoir agressé une femme de ménage de l’hôtel dans lequel il résidait. Inculpé donc présumé innocent. La nouvelle suscite l’incompréhension. Comment cet homme auquel tout souriait a-t-il pu prendre le risque de commettre un acte qui peut le conduire aux Etats Unis à passer 30 ans derrière les barreaux ? A contrario, s’il s’agit d’une manipulation, quel en serait le mobile ? L’attention se porte plus sur l’homme politique anéanti que sur ses victimes.
« Grave erreur de jugement »
La « terrible nouvelle » et la façon dont elle est traitée dans les médias français en dit long sur la tolérance aux violences sexuelles en France. Les journalistes savaient, le personnel politique savait. Mais, écrit Jean Quatremer, journaliste à Libération « pour l’avoir écrit en juillet 2007, sur ce blog, j’avais encouru les foudres de certains de mes collègues et d’une partie de la classe politique ». Lors de la nomination de DSK au FMI, il écrivait en effet – sur son blog et non dans son journal : « Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France). »
L’homme politique français a, en effet, déjà été inquiété aux Etats-Unis. En 2008, il a failli perdre son poste au FMI pour ce qu’il a qualifié « d’aventure d’un soir » avec une subordonnée, l’économiste hongroise Piroska Nagy, qui évoquait au contraire un « abus de pouvoir. » A l’issue d’une communication rondement menée, le patron du FMI est resté à son poste à Washington et la jeune femme a été nommée à la BERD à Londres. Le conseil d’administration du FMI, lui avait seulement reproché une « grave erreur de jugement. » Cette histoire au moins, a été jugée, l’homme a été recadré. C’était aux Etats-Unis.
Honte aux victimes
En France ce genre d’affaire n’arrive pas jusqu’aux tribunaux. Pire, on en rigole sur les plateaux télé et l’omerta règne. En 2002 alors qu’elle était âgée de 22 ans, Tristane Banon, journaliste et romancière, aurait été agressée sexuellement par DSK. Mais sa mère, Anne Mansouret, conseillère générale de l’Eure et régionale de Haute-Normandie, candidate aux primaires socialistes pour l’élection présidentielle de 2012, l’aurait dissuadée d’intenter une action en justice parce que, explique-t-elle aujourd’hui dans les médias, Tristane était amie avec la fille de DSK. « Vous savez ma fille était très mal, mais Tristane est la filleule de la seconde femme de Dominique. C’était délicat pour des raisons familiales et amicales ».. dit-elle par exemple dans Paris-Normandie. Elle explique que cette affaire a gâché la vie professionnelle de sa fille et l’a conduite à la dépression.
Honte aux victimes. Comme dans ces familles où l’inceste est tu, par peur des représailles, pour préserver la famille, tandis que la victime, elle, est marquée à vie, et priée de souffrir en silence. Ce n’est pas considéré comme de la non-assistance à personne en danger mais une façon de préserver les équilibres sociaux dictés par les puissants.
Le viol fait rire sur un plateau télé
Dans le cas de Tristane Banon, la loi du silence aurait dû être rompue par les médias. La jeune femme avait parlé de l’affaire en 2007 dans une émission de Thierry Ardisson, « 93, faubourg Saint-Honoré » (voir la vidéo ici). Elle devait interviewer DSK pour l’écriture d’un livre et raconte l’agression devant une dizaine de personnes. Elle raconte la bagarre et précise « J’ai dit le mot « viol » pour lui faire peur, ça ne lui a pas fait peur ». Autour d’elle, les invités rigolent, Thierry Ardisson ponctue même une de ses phrases de « j’adore » , puis elle affirme avoir vu un avocat, préparé un dossier puis renoncé parce qu’elle ne voulait pas, toute sa vie « être la fille qui a eu un problème avec un homme politique… »
Au passage, un invité lui demande comment elle était habillée, histoire de reprendre l’antienne de la personne violée qui l’a bien cherché. En tout cas la scène, comme des centaines d’autres dans les médias, fait oublier que le viol est un crime.
A ce jour, on ne sait pas ce qui s’est réellement passé, ni si DSK est un malade qu’il faut accompagner, mais la façon dont les médias parleront des victimes sera déterminante pour fissurer l’omerta sur les crimes sexuels en France.
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