Un congé paternité de 28 jours ? Les Français.es applaudissent. Mais pour changer vraiment les rôles sociaux de sexe, d’autres mesures doivent suivre. Sinon ce ne sera qu’un coup de communication.
Mardi soir 22 septembre, l’Elysée a annoncé avec fracas l’allongement du congé paternité qui passerait de 11 à 28 jours. Le président de la République retenait ainsi une mesure préconisée par la commission d’experts sur les « 1000 premiers jours de l’enfant.» Une mesure que le secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet avait évoquée il y a quelques jours : (lire :BIENTÔT UN ALLONGEMENT DU CONGÉ PATERNITÉ ? )
Mais c’est Emmanuel Macron qui a pris la main sur la communication de cette mesure très populaire. Dès ce mercredi matin la nouvelle était annoncée sur toutes les ondes et dans tous les journaux. Et l’enthousiasme était de rigueur chez les futurs papas qui répondaient aux micros-trottoirs et chez les militant.es de l’égalité des sexes. Le lien du père avec l’enfant serait plus fort, les enfants auraient davantage confiance en eux, et les papas se retrousseraient les manches à la maison. Une telle mesure devrait permettre un meilleur partage des tâches domestiques et parentales et mettrait les hommes et les femmes à égalité devant des employeurs contraints de gérer des absences pour tous et toutes.
Hourras dans la presse qui a pu suivre le feuilleton pas à pas : après le communiqué de l’Elysée mardi soir, le président de la République devait annoncer officiellement la nouvelle à l’occasion d’une visite au centre de protection maternelle infantile de Longjumeau dans l’Essonne. Il a aussi fait une annonce filmée sur Instagram à l’issue du Conseil des ministres. Et a ajouté une information : « Nous allons porter le congé paternité à un mois, un mois au sein duquel il y aura sept jours obligatoires pour chaque jeune papa ».
Une communication sur une mesure assez consensuelle – 80 % des Français.es y sont favorables- et bienvenue dans une période qui n’est pas très bonne pour l’image du président de la République. Entre les démissions au sein de son parti En marche, les débats sur les néonicotinoïdes ou la gestion compliquée des masques de prévention du Covid19, son image se ternissait un peu. Il était urgent d’annoncer une bonne nouvelle pour la redorer.
Alors le président met les moyens. Car l’allongement du congé paternité a un coût. Emmanuel Macron s’était opposé à l’adoption d’une directive européenne sur le congé paternité et congé parental pour des raisons de coût (lire : Congé parental : une directive européenne a minima). Mais cette fois-ci, les communicants du président affirment qu’il tient une promesse électorale. La réforme sera inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 et prendra effet à partir du 1er juillet prochain. Le doublement du congé paternité devrait logiquement, au minimum, doubler le coût du dispositif actuel qui passerait de 260 millions d’euros cette année à environ 520 millions en 2021 et 780 millions en 2022 si davantage d’hommes y ont recours. (67 % des pères en bénéficient aujourd’hui. Et le congé de 11 jours instauré en 2002 n’est pas obligatoire.)
Et, non seulement la mesure populaire est coûteuse, mais elle va devenir contraignante. Le gouvernement annonce qu’une amende de 7.500 euros pourrait s’abattre sur les entreprises qui ne respecteraient pas ce nouveau droit.
Réforme timide
Pour celles et ceux qui trouveraient que cette réforme ne va pas assez loin, le gouvernement affirme que c’est « une première étape ». Car dans le concert d’applaudissements il y a aussi quelques couacs. Il est reproché à la réforme d’être timide. Ce qui était préconisé dans le rapport sur les « 1000 premiers jours de l’enfant» était un congé paternel de neuf semaines. Et le député Guillaume Chiche élaborait une proposition de loi portant ce congé à douze semaines, dont huit obligatoires.
Autre reproche : la mesure est trop isolée. La question du congé parental n’est pas abordée, pourtant il est pris par les femmes dans 98 % des cas, ce qui n’augure rien de bon pour l’égalité des sexes. N’est pas abordée non plus la question de la garde des enfants, qui repose sur les épaules des femmes quand les services publics sont défaillants (c’est la femme qui renonce à son salaire, moins élevé en général que celui de l’homme, pour garder les enfants). Pas sûr que l’allongement du congé paternel à 28 jours dont seulement sept obligatoires, fasse changer les mentalités et les rôles sociaux de sexe.
Et puis les patrons ne semblent pas prêts. Sur France Info, le président délégué du Medef, Patrick Martin, après moult circonlocutions approuvant une mesure qui va « le sens de l’histoire », parle gros sous et business. La mesure va coûter « 300 millions d’euros » aux entreprises affirme-t-il, et va créer « des difficultés d’organisation dans les petites et moyennes entreprises. Quand il y a un salarié qui occupe un poste clé et qui, très légitimement, prendra ce congé, il faudra que l’entreprise s’organise. » Que faut-il comprendre ? que les femmes qui prennent des congés maternité ne doivent pas être à des postes clés selon le Medef ? Que les entreprises pourraient bien s’asseoir sur ce congé paternité ? Le représentant du syndicat des patrons considère, au passage, que l’amende de 7.500 euros serait, pour les entreprises, juste une « petite tape sur le museau ».
Avec ce congé paternité de 28 jours dont 7 obligatoires, la France reste loin de pays comme la Norvège qui accorde 15 semaines de congé au deuxième parent qui garde l’intégralité de son salaire, la Suède (60 jours de congé paternité et un an de congé parental pour le couple) ou l’Espagne qui a adopté en 2019 une congé paternité de 8 semaines rémunéré à 100 % du salaire et devrait passer à 16 semaines en 2022…