Dénoncer les violences sexuelles à outrance, c’est aboutir à ce que, comme aux États-Unis, un homme n’ose plus prendre l’ascenseur avec une femme ? Revoilà cet argument, déjà brandi au moment de l’affaire DSK, et toujours aussi faux.
Le flot de réactions ne se tarit pas, suite à la tribune aux accents anti-féministes, défendant la « liberté d’importuner », publiée mardi 9 janvier dans Le Monde. Avec parfois des arguments très tendancieux.
Si la Secrétaire d’État Marlène Schiappa, parmi d’autres, dénonçait avec des mots justes ce « pot-pourri », le délégué général de LaREM, Christophe Castaner, s’inquiétait jeudi 11 janvier sur FranceInfo d’un « modèle unique de comportement, une sorte d’américanisation qui fait que jamais un homme aujourd’hui ne peut prendre un ascenseur avec une femme ». La veille, c’est le porte-parole du FN Sébastien Chenu qui usait de la même image : « N’aseptisons pas, dans notre société, les rapports entre les individus. Si aujourd’hui il n’est plus possible effectivement de monter à deux dans un ascenseur sans imaginer être dénoncé sur Twitter, ça posera un problème pour notre société. »
Revoilà donc le « mythe de l’ascenseur », brandi comme exemple d’un prétendu excès de dénonciations des violences sexuelles. Aux États-Unis, puritanisme oblige, les hommes éviteraient de prendre l’ascenseur seuls avec une femme, pour éviter de se faire automatiquement accuser de harcèlement sexuel ? Si cet exemple a beau être totalement imaginaire, il revient pourtant régulièrement dans le débat public en France.
Au point qu’en novembre 2011, alors que l’affaire DSK battait encore son plein, la journaliste de Slate Claire Levenson devait démonter cette « fable », ce « pseudo argument » utilisé pour « ridiculiser les féministes » – déjà accusées, à l’époque, d’en faire trop et de vouloir instaurer une société dans laquelle tout homme serait perçu comme un prédateur en puissance. Plusieurs titres de presse avaient en effet repris ce mythe de l’ascenseur en dépeignant Dominique strauss-Kahn comme la victime d’un puritanisme américain outrancier.
En 2016 encore, lors d’une audition à l’Assemblée nationale consacrée à la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel, une représentante du MEDEF opposait la « vision latine de la relation hommes/femmes » à « un monde où on ne pourrait plus prendre l’ascenseur sans une tierce personne ».
Dans la lignée de Claire Levenson, Marie Donzel avait pourtant, elle aussi, tordu le cou à ce « fantasme » en 2012, alors qu’il reprenait corps suite à une déclaration du maire de Valladolid, en Espagne. Un argument bien utile, notait-elle, pour « escamoter d’emblée, pour ne pas dire tuer immédiatement dans l’oeuf, tout début de discussion sur le harcèlement sexuel dans nos bons vieux pays latins où l’on aime autant à confondre rencontre avec rentre-dedans, que séduction avec drague lourde, respect avec censure et féministe avec castratrice. »
Heureusement, en 2018, la discussion est bel et bien engagée. Mais l’argument de l’ascenseur – qu’on peut désormais qualifier de fake news – reste de mise…