L’expression « crime d’honneur » trouve des circonstances atténuantes à des assassins qui veulent contrôler le corps des femmes. Et, comme « crime passionnel », elle fait peser la culpabilité sur la victime.
Les médias ont longtemps été sourds aux alertes des féministes contre l’emploi des mots qui minimisent les féminicides et violences misogynes (voir plus bas). La vague Metoo, et la pression de mouvements féministes avaient fini par les faire évoluer. Mais ils viennent de déraper à nouveau en évoquant le terrible assassinat du jeune Shemseddine, âgé de 15 ans, à Viry-Châtillon (Essonne), jeudi 4 avril. Beaucoup le « requalifient» en « crime d’honneur ».
Le crime d’honneur n’existe plus
Le jeune garçon a été tabassé à mort devant son collège par des individus masqués. Pris en charge par les urgences, il est mort vendredi. Cinq personnes ont d’abord été placées en détention provisoire a alors annoncé le parquet d’Evry qui n’a, à aucun moment, évoqué la notion de « crime d’honneur » -une notion qui n’existe plus en droit français depuis 1791.
Selon les premiers éléments de l’enquête évoqués par le procureur d’Evry, Grégoire Dulin, il s’agirait d’un « différend impliquant la sœur de deux d’entre eux » selon les déclarations des mis en cause. Les deux frères auraient appris, plusieurs jours auparavant, que « leur sœur correspondait avec des personnes de son âge sur des sujets relatifs à la sexualité » et, prétendent-ils « Craignant pour sa réputation et celle de leur famille, ils avaient enjoint à plusieurs garçons de ne plus entrer en contact avec elle. Ils avaient ensuite appris que la victime se vantait de pouvoir librement parler avec leur sœur, n’ayant pas encore eu à subir de pression de leur part » a ajouté Grégoire Dulin.
Arrêter de romancer
Illico, de nombreux journaux ont parlé, dans leurs titres de « crime d’honneur », comme Le Parisien, Le Point, Le Figaro… Un euphémisme, une façon de romancer un crime barbare. Certains journaux parlent de « querelle amoureuse », d’autres, comme le Parisien, sont même allés jusqu’à écrire qu’ « une potentielle idylle serait à l’origine du drame ».
Ainsi, c’est le retour, en filigrane, de la notion de « crime passionnel » après des années de bataille pour que les journaux sortent cette expression de leur vocabulaire et parlent de « féminicide ». Moins glamour, le terme appelle davantage de sanctions et il déplace la faute de la victime vers le criminel.
Ancêtre du crime passionnel
Le « crime d’honneur » est l’ancêtre du « crime passionnel ». Avant 1791, ce crime, souvent perpétré par un mari jaloux, donnait lieu à des condamnations bien plus légères que les autres crimes, voire aucune condamnation. Quand cette notion a disparu du code pénal, le « crime passionnel » est venu au secours des hommes possessifs, permettant d’acquitter la moitié de ces assassins. Le crime d’honneur a existé jusqu’en 1991 dans les législations du Brésil, de l’Inde et du Pakistan. Il existe encore dans certains pays comme l’Irak ou la Jordanie. Mais en France, sa disparition n’a pas mis fin à l’indulgence accordée aux auteurs de ce que l’on appelle aujourd’hui « féminicide ».
Parler de « crime d’honneur » dans le cas de l’assassinat de Shemseddine est délétère. L’expression fait porter la faute à la jeune fille qui se serait mal comportée, elle fait porter l’honneur de la famille sur le corps des filles et des femmes qui appartient ainsi aux hommes.
Parler de « crime d’honneur » c’est comme parler de « crime passionnel », c’est accorder des circonstances atténuantes aux pires bourreaux. Et c’est réintroduire dans l’opinion une notion patriarcale archaïque.
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