Au pied du mur du confinement les tâches domestiques et familiales sont plus lourdes. Mais elles ne sont également partagées que dans une faible partie des couples hétéros… Les clés du succès ?
Quelques jours après le début du confinement, le PDG d’IBM France, Nicolas SekkaKi, postait, sur le réseau professionnel LinkedIn, une photo de lui à son domicile, affublé d’un tablier de ménage, un balai dans chaque main. Et le concert des courtisan.e.s commentait abondement, saluant l’exploit ou se gondolant du potentiel comique de la situation. La photo et les commentaires disent que la situation est encore considérée comme incongrue par la plupart des Français.e.s.
Et les chiffres le confirment. Avant le coronavirus, l’Insee indiquait que les femmes effectuent encore plus des deux tiers des tâches ménagères et parentales -respectivement 71% et 65%. Et quand l’écart se réduit c’est parce que les femmes en font moins. Pas parce que les hommes en font plus. (voir : Activités domestiques et parentales, quelles évolutions ?)
Au pied du mur du confinement quand les tâches familiales et domestiques s’alourdissent et ne peuvent plus être déléguées que se passe-t-il ? L’observatoire sociologique du changement* de Sciences Po l’affirme : « Les femmes consacrent beaucoup plus de temps qu’auparavant à « faire du ménage » et à « prendre soin de personnes fragiles ou vulnérables » – creusant ainsi les écarts préexistants entre les sexes. Plus remarquable, 70% des femmes déclarent diriger quotidiennement le travail scolaire de leurs enfants, contre 32% des hommes (28% des hommes déclarent ne jamais effectuer cette tâche, (contre 12% des femmes).» Ce qui confirme une étude récente (voir : Confinées, les femmes en font plus que les hommes )
Ecarts de perception
Rien ne devrait justifier de tels écarts et ces écarts se justifient encore moins en période de confinement quand le couple est à la maison, éventuellement en télétravail. La masse de travail à accomplir se voit, la mauvaise répartition de ce travail se voit. Le roi est nu ? Pas encore. La force des stéréotypes est telle que, dans les couples hétéros, quand les hommes ne jugent pas que ce travail domestique et familial n’est pas pour eux, ils ont tendance à surestimer le peu de tâches qu’ils accomplissent… Ils font peu, ils font mal et, de guerre lasse, les femmes finissent par tout prendre en charge. De nombreux articles dans la presse le dénoncent ces derniers jours et le site « T’as pensé à ? » est plein de témoignages de femmes épuisées. Les stéréotypes causent des écarts de perception. Toute action qui va à l‘encontre des stéréotypes est surestimée. Quand une femme change la couche de son bébé tout le monde trouve ça normal, quand c’est un homme, il est applaudi tel un héros. Du coup tout le monde surestime le peu de travail domestique et familial des hommes.
Règles explicites et responsabilisation
Pourtant, dans certains couples, le confinement a été l’occasion de mettre sur pied l’égalité domestique. Quelques témoignages de femmes et d’hommes recueillis sur les réseaux sociaux ou par téléphone donnent des clés du succès. La plupart des femmes disent que le partage était égal avant et donc aussi pendant le confinement. Parmi les hommes qui témoignent, beaucoup sont de bonne foi, leur conjointe ayant confirmé le partage des tâches. Mais beaucoup aussi sont encore au stade « débutant » considérant seulement qu’ils « aident » leur femme et donc, ne sont pas responsables du travail du foyer.
Deux points communs dans les couples égalitaires : des règles explicites et, en filigrane, de la culpabilité… Elles et ils se sentent coupables quand leur partenaire en fait davantage.
Tous les témoignages de couples égalitaires l’affirment : l’égalité a été élaborée explicitement. Pas de répartition des tâches implicite. Le plus souvent, l’égalité existait avant le confinement. Chez Gabrielle, le couple a instauré une nouvelle règle pendant le confinement de façon très formelle : « j’ai ‘droit’ – c’est ainsi que nous l’avons formulé- à une heure de télétravail de plus que mon conjoint sans être dérangée » car son activité le nécessite davantage. Chez Stéphanie : « Nous avons fait la liste de toutes les tâches à accomplir pour la famille et pour la maison ensemble et avec les enfants. A l’occasion du confinement, nous avons adopté une nouvelle organisation tenant compte de nos obligations professionnelles différentes. Dans notre organisation, nous assumons à tour de rôle la responsabilité de suivre l’accomplissement des tâches. Il s’agit de bien répartir aussi la charge mentale».
La charge mentale, un sujet remis au goût du jour par Emma il y a quatre ans mais pas compris par la presse mainstream qui, au lieu de dire aux hommes de prendre leur part de cette charge, culpabilisaient les femmes. Car, selon cette presse, ce seraient elles qui ne voudraient pas « lâcher prise ». « Partager ce n’est pas, pour l’homme, faire les courses mais avec une liste élaborée par la femme qui prend en charge la variété, l’équilibre et l’économie des menus de la famille » prévient Fanny. « Pas question non plus d’avoir des repas équilibrés quand c’est maman qui cuisine, et des pâtes ou du riz quand c’est papa. Il faut que les hommes se responsabilisent » « Et puis cette histoire de lâcher prise est vraiment infantilisante pour les hommes. Il n’y a pas de raison pour que la famille mange un plat brûlé ou entre dans une salle de bain sale parce que monsieur joue l’incompétence ménagère » ajoute Sophie. (« L’injustice ménagère » qui aborde ce sujet est le titre d’un livre du sociologue François de Singly- 2007)
Dans certains couples, les tâches sont réparties par « compétence» ou par « goût ». Mais des différences restent dans les têtes. Quand c’est l’homme qui prend en main totalement la cuisine et l’élaboration de tous les menus de la famille -avec la charge mentale que cela suppose- et la femme le rangement de la cuisine après le repas, les femmes ont l’impression de ne rien faire et culpabilisent. Quand c’est l’inverse, les hommes ont l’impression de faire largement leur part. « Quand notre bébé pleure alors que je travaille et que ce n’est pas à mon tour de m’en occuper j’ai tendance à culpabiliser » s’étonne Delphine, militante de l’égalité des sexes.
« Je n’aide pas ma femme »
La culpabilité peut aussi être masculine. « Au début du confinement j’avais un boulot de fou car en plus d’une charge soutenue, je devais mettre en place le télétravail pour ma société, je ne faisais rien pour la maison » regrette Thierry « je culpabilisais même si ma compagne se montrait plus que compréhensive, depuis j’ai essayé de rattraper »
Ces hommes qui prennent leur part au travail de la maison sont encore aujourd’hui des exceptions. Preuve que les stéréotypes sont entrés les appartements confinés. Il faudra beaucoup de messages comme celui de la vidéo « je n’aide pas ma femme » pour contrer ces stéréotypes, responsabiliser les hommes et déculpabiliser les femmes. Et pour que l’image d’un Pdg tenant un balai soit tellement banale qu’elle ne mérite pas d’être postée sur les réseaux sociaux….