Un rapport terrifiant du HCE démontre et dénonce l’industrialisation de la violence sexuelle par le porno. Des pratiques illégales, une « école de la violence sexuelle » que le gouvernement ne s’empresse pas de combattre.
Les oratrices ont tétanisé la salle mercredi 27 septembre, lors de la remise du lourd rapport sur la pornocriminalité à Bérangère Couillard, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité (HCE) et Céline Piques, co-présidente de la commission « lutte contre les violences faites aux femmes » ont prévenu : auteurs et autrices de ce travail ont vécu « des moments qui marquent une vie ». Elles et ils ont eu connaissance de millions de « violences et tortures filmées », ont reçu en pleine face « la misogynie du plaisir de torturer ces femmes », les dégâts dans les têtes des jeunes garçons désormais persuadés à près de 50% que les filles aiment cette violence ou encore la puissance des riches industriels de la pornocriminalité qui ont tenté de les intimider.
Le HCE appelle à agir contre un « système de massacre des femmes à but lucratif ». Car la violence augmente avec la monétisation du trafic. 90 % des vidéos porno en ligne contiennent des violences physiques et sexuelles.
« La pornographie sur écran n’est pas du cinéma »
Au cinéma, les scènes de violences sont simulées. « Mais la pornographie sur écran n’est pas du cinéma » a prévenu Céline Piques. Dans la pornographie des viols et actes de torture et de barbarie filmés sont commis réellement. Ces vidéos « ont été obtenues par la contrainte dans des réseaux d’exploitation sexuelle » dit le rapport.
Le HCE a mené son étude sur les quatre principales plateformes pornographiques (Pornhub, XVideos, Xnxx, Xhamster) et en parle crûment. Ce sont des millions d’actes de violences et d’actes de torture qui sont filmés dans des vidéos intitulées « double anal » ou « triple anal » (plusieurs pénis dans un anus), « On compte 1,4 million de vidéos avec des pratiques sadiques : choking (étranglement), bukkake (des dizaines d’hommes pénètrent une femme puis éjaculent sur elle), gangbang (« plusieurs hommes pénètrent simultanément une femme dans plusieurs orifices »), gagging (étouffement par fellation profonde), torture, électrocution, surprise (« qui correspond à un viol ») » écrit le HCE. Beaucoup de vidéos parlant de « jet d’urine ». Le porno regorge aussi de vidéos s’appesantissant sur les dégâts occasionnés par ces violences extrêmes :« prolapse » (« extériorisation des organes internes dus à un anus ou vagin détruit pas des pénétrations brutales ») apparait dans 21000 vidéos !
Non seulement le porno filme des violences réelles sur des femmes mais il apprend aux jeunes générations à associer sexualité et violence. Et quand on sait que 51% des garçons de 12 ans en France – et 30 % des filles- regardent de la pornographie chaque mois, on devrait attendre une réaction énergique des pouvoirs publics.
Un groupe de travail interministériel. Il faut aider la ministre !
Au lieu de cela, la ministre Bérangère Couillard a annoncé la création d’un « groupe de travail interministériel », qu’elle présidera, rassemblant les ministères de l’Intérieur, de la Justice, du Travail, de la Culture et du Numérique. Un engagement identique avait été pris par le gouvernement après la publication du rapport sénatorial « l’enfer du décor » remis au gouvernement en 2022. Mais personne n’a le souvenir d’avoir vu se réunir ce groupe interministériel. « Il faut soutenir la ministre » ont dit les responsables du HCE qui savent bien qu’elle devra faire face à l’inertie voire à l’adversité hypocrite de ces ministères qui ne font rien contre la pornocriminalité alors qu’ils ont toutes les cartes en main. Car rien n’est légal dans l’industrie du porno.
Rien n’est légal
A peu près tout est illégal dans cette industrie.
Première illégalité. La « liberté d’expression » n’autorise en aucun cas la diffusion de tels contenus. C’est un principe du droit : la liberté d’expression n’est pas sans limite. Les discours de haine et l’apologie de la violence sont interdits. L’article 222 33 3 du code pénal prévoit qu’enregistrer et diffuser ces scènes de viol et d’insultes « Est constitutif d’un acte de complicité des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne ». Le complice est passible des mêmes peines que l’auteur des violences.
Deuxième illégalité. Le rapport observe que « le discours pornographique est « une provocation à la haine misogyne, raciste et LGBT phobe. Les femmes avilies, insultées, objectifiées doivent « faire mine de jouir de cette violence » et la jouissance des hommes est proportionnelle à l’avilissement des femmes. Le HCE a compté 1,5 million de vidéo « racistes » , on y parle de « beurettes », de « racial domination » Selon l’archétype raciste, les hommes noirs sont réduits à leur pénis « monster dick » et présentés comme des menaces pour les femmes blanches. L’homosexualité féminine n’est vue qu’à travers le fantasme d’hommes qui veulent les remettre de force dans le rang hétéro en les violant.
Troisième illégalité : la pédocriminalité. Le rapport a recensé 1,3 million de vidéos très recherchées sur la Toile avec des mots clés comme « papa », « écolière », « teen ». Il faut 5 secondes pour trouver « trio avec papa » un homme de 40 ans violant 2 enfants de 12 ans, dénonce Céline Piques. 85 millions d’images et vidéos pédocriminelles ont été détectées en 2021.
Quatrième illégalité : la loi de 1994 interdisant l’exposition des mineur.es à la pornographie n’est pas appliquée. Celle de 2020 obligeant les sites à contrôler l’âge des consommateurs ne l’est pas du tout. Car les riches industriels de la pornographie, accompagnés de grands avocats, cumulent les recours suspendant l’application de cette loi.
La plateforme française Pharos, conçue pour lutter contre les contenus illégaux en ligne, laisse passer la violence sexuelle.
Cinquième illégalité. Les images des vidéos pornographiques sont obtenues selon un véritable « système d’exploitation sexuelle », un « système bien rodé de viols en réunion et de traite sexuelle ». Un procès a été engagé contre ce système terrible mais entre associations de protection des victimes et riche industrie du porno, c’est le pot de terre contre le pot de fer. (Lire : Pornocriminalité : attention à la contre-offensive médiatique)
Sixième illégalité : les plateformes n’accèdent pas aux demandes des personnes, filmées dans les vidéos à leur insu, de retirer ces vidéos.
Inaction des autorités
Alors le HCE dénonce cette « industrie criminelle qui organise son impunité permettant un déni sociétal. » Les actes perpétrés dans ces vidéos sont présentés comme des fantasmes autorisés par la « liberté de création » et l’industrie criminelle « organise son blanchiment » en envoyant dans les médias des complices chargés de parler d’une pornographie éthique et heureuse. Un rideau de fumée assez efficace pour maintenir l’inertie des autorités.
Le HCE dénonce des « défaillances lourdes des autorités face aux violences pornocriminelles. » La commission qui a préparé le rapport a signalé 35 vidéos auprès de Pharos. Aucune n’a été retirée. Quelques titres : « écolière se fait sodomiser », « papa baise moi » , « deux filles se réveillent avec de la pisse au visage », « une rousse se fait électrocuter, torturer et baiser », « beurette en chaleur calmée avec la ceinture », « Ils lui ont faire boire leur pisse après avoir été baisée grossièrement dans le cul »
Pharos ne retire pas les contenus pédopornographiques signalés. Il semble avoir une définition très laxiste de la majorité, considérant qu’il ne doit protéger que les enfants prépupères.
« La liste des inactions des autorités face aux illégalités de la pornographie est longue » déplore le HCE qui enjoint le gouvernement de faire de «la lutte contre la pornocriminalité » une priorité de politique publique et formule 32 recommandations tournant autour de l’idée de faire respecter la loi. Et surtout, faire en sorte que Pharos bloque toutes les atteintes volontaires à l’intégrité d’une personne, sous le contrôle de l’Arcom. « Afin d’agir pour protéger la société de ces images et protéger les femmes des violences insupportables commises contre elles » insiste Sylvie Pierre-Brossolette qui veut que le projet de loi sur le numérique, qui sera à l’Assemblée Nationale le 4 octobre, défende ces mesures.
Combat culturel
Devant l’inertie du gouvernement, c’est un combat culturel qui s’engage entre, d’un côté, ces citoyen.nes qui ne veulent pas associer sexualité et violence et, d’un autre côté, les puissants industriels de la pornographie qui s’adonnent à une surenchère de violence très lucrative.
La très bonne couverture médiatique de ce rapport a fait gagner une bataille aux premier.es. Mais illico, la contre-attaque s’est faite entendre, dans Médiapart notamment avec une tribune accusant le HCE de « dérive autoritaire » et dans d’autres médias où les industriels du porno envoient des « actrices porno » raconter la fable de la pornographie heureuse.
Dans cette bataille culturelle, les mots sont importants. Le rapport très bien documenté rappelle que la pornographie n’est pas la sexualité. Dès l’introduction, il explique : « Etymologiquement, le mot pornographie est composé du substantif grec « porné » qui renvoie à la manière dont les Grecs antiques qualifiaient une catégorie d’esclaves sexuelle les plus avilies par les hommes. » et « graphie» signifie « écrire, peindre» La pornographie est la représentation de l’esclavage sexuel et non la représentation de la sexualité ». Il faudrait parler de « sexographie » s’il s’agissait de sexualité, et « d’érosgraphie » s’il s’agissait d’amour. En parlant de pornocriminalité, le HCE appelle à mettre fin à « l’impunité de l’industrie pornographique. »
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