#MeFirst appelle les femmes à penser à elles avant tout. Et si leur égoïsme obligeait la politique à changer ? Nous avons posé la question à Corinne Maier qui dénonce un tiers-état féminin.
Le nouvel essai de l’économiste et psychanalyste Corinne Maier paru ce 31 janvier s’intitule tout simplement : « Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin »* . L’autrice, qui a écrit -entre autres- « No kid » en 2008 (réédité en mars prochain) prescrit cette fois-ci l’égoïsme pour libérer les femmes, « aliénées par l’amour », du travail invisible qui les fait passer à côté de leur vie.
Mais l’égoïsme des femmes est considéré comme subversif quand celui des hommes est accepté, parfois même glorifié comme lorsqu’une marque de parfum donne le nom « Egoïste » à une fragrance pour hommes. Autre double standard dénoncé par Corinne Maier : l’amour est « une option pour les hommes un devoir pour les femmes ».
Et l’amour « coûte cher aux femmes ». Elles quittent leur emploi pour s’occuper de proches, écornent leur carrière en travaillant à temps partiel, renoncent à leurs loisirs, s’épuisent aux tâches domestiques et de soin aux autres…
Et pourtant, elles continuent d’assurer tout un travail sans lequel la société ne tiendrait pas debout. La force d’un conditionnement qui perdure malgré de nombreux appels féministes qui ne datent pas du 21ème siècle. #MeFirst reprend des citations de grandes autrices féministes comme celle de Benoîte Groult dans L’évasion : « L’égoïsme, c’est la santé ! Il est condamné chez les femmes justement parce qu’il leur serait tellement nécessaire.»
Ce livre décrypte les -mauvaises !- raisons pour lesquelles les femmes assument les corvées du care et explique comment s’en affranchir.
Interview
L’égoïsme et le tiers-état féminin
LNN : Pourquoi dire aux femmes de devenir égoïstes et pas aux hommes de l’être moins ?
Ça a déjà été fait, beaucoup ont essayé de convaincre les hommes, ça ne marche pas. Alors parfois, il faut avoir recours aux « mauvais sentiments » pour avancer. Ce n’est pas glorieux mais c’est probablement plus efficace.
LNN : Vous évoquez une « deuxième économie » celle du travail invisible des femmes qui ne compte pas dans la richesse. Est-ce que la valorisation de cette économie « du bien-être » ne serait pas une alternative à l’égoïsme ?
Dans un monde idéal, ce serait une piste politique à explorer pour l’égalité des sexes. Aujourd’hui, les deux tiers de la charge totale du travail des hommes dans le monde relèvent d’activités marchandes rémunérées, alors que seul un tiers du travail des femmes dans le monde est rémunéré. Ce tiers m’a inspiré une réinterprétation d’un pamphlet révolutionnaire de l’abbé Sieyès en 1789, consacré au tiers état : « Qu’est-ce que le tiers état féminin ? Beaucoup. Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? Peu. Que demandent-elles ? À devenir davantage, et à obtenir à la mesure de la charge qu’elles assument. » Mais quand on voit qu’il y a de moins en moins d’argent pour les services publics, je n’y crois pas. Ce qui ne génère pas d’argent pour des actionnaires est désinvesti.
LNN : Pensez-vous que le niveau de conditionnement des femmes leur permet aujourd’hui d’accéder à l’égoïsme ?
J’ai l’impression que les jeunes femmes d’aujourd’hui se posent davantage de questions, sur la maternité notamment. Et même sur le fait de se mettre en couple avec un homme. Elles n’ont pas envie de faire le travail de déconstruction de masculinité toxique en douceur. Elles s’affirment. D’où probablement un malaise de jeunes-hommes qui se disent de plus en plus conservateurs.
LNN : Quel est le premier conseil que vous donnez aux femmes pour entrer en égo-thérapie ?
Prendre la parole, s’exprimer, dire les choses, verbaliser, arrêter de penser que raser les murs est une bonne idée. Ce n’est pas facile car on leur a appris que féminité rimait avec discrétion. Mais j’ai l’impression qu’elles sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer.
- * Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin ». Editions de l’Observatoire.