Comment mesurer le bien-être ? L’accroissement des inégalités a pesé sur les discussions autour des nouveaux indicateurs de richesse menées à l’occasion des deux ans du rapport Stiglitz.
Les inégalités : c’était le sujet de préoccupation dominant à l’OCDE, mercredi 12 octobre. L’Organisation de coopération et de développement économique accueillait une conférence à l’occasion des deux ans du rapport « décisif » Stiglitz-Sen-Fitoussi sur la mesure du progrès social (voir notre dossier). Et les slogans des manifestations des « indignés » partout dans le monde ont brui jusque dans la salle de conférence remplie d’experts. « Le sentiment qui domine est que la mondialisation et la croissance économique n’ont pas bénéficié à tous les groupes de la société », soulignait en ouverture Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE.
La voix des 99%
Derrière les débats sur les « mesures du bien-être et de la soutenabilité », intitulé de cette journée de conférence, c’est donc la question des inégalités, masquées par la focalisation sur la croissance, qui revient prioritairement. L’indice de Gini qui sert à mesurer les inégalités de revenu montre qu’elles se sont accrues depuis les années 1990 dans une majorité des pays de l’OCDE, dont la France. Et « elles continuent de s’accroître », assène Angel Gurria.
Les inégalités, « c’est LE sujet » sur lequel il faut travailler, estime Joseph Stiglitz. L’économiste se réfère à plusieurs reprises au mouvement anti-Wall Street – il était allé quelques jours plus tôt apporter son soutien aux manifestants new-yorkais – qui « reflète une demande de bien-être, le fait que le système politique n’a pas prêté attention à leurs préoccupations ». Et rappelle ce slogan qui fleurit ces derniers temps dans les rues états-uniennes : « We are the 99% ! » (voir ici l’analyse d’ @rrêt sur images), « Nous sommes les 99% », en opposition aux 1% qui s’accaparent les richesses (voir ici, en anglais, « Who are the 1% ? »). « Avant la crise, la PIB américain avait l’air de bien se porter », note encore Joseph Stiglitz « mais pour le travailleur américain moyen, la situation était pire que dans les années 1970 ». C’est donc que « le PIB ne reflète pas ce qui se passe ».
Un « chaos » d’initiatives
Le constat est partagé et la réflexion sur les nouveaux indicateurs de richesse est désormais bien engagée. L’INSEE, qui a dévoilé à l’occasion de cette conférence ses premières mesures du bien-être subjectif, poursuit ses travaux en liaison avec d’autres instituts statistiques européens. L’OCDE en fait une priorité de son agenda, et a publié pour sa part, ce mercredi, une somme faisant état de ses travaux sur la mesure du bien-être (voir la page consacrée à son initiative « Vivre mieux »).
Reste encore à trouver une cohérence, une harmonisation des initiatives au niveau international car c’est pour l’instant « le chaos » estime Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE.
Reste aussi à faire en sorte que ces outils servent à guider les politiques publiques. « Il ne s’agit pas que de chiffres, mais de savoir quelles directions prendre », résume Joseph Stiglitz, pour qui la mesure du bien-être se doit aussi d’insister sur « le lien social ». Et l’économiste de fournir un exemple qui montre la mesure du chemin à accomplir pour accorder les grands discours sur la « soutenabilité » et les décisions politiques : « D’un point de vue économique, cela apparaît bénéfique de fermer un bureau de poste. Mais cela peut avoir un effet dévastateur sur la collectivité ».
Image : OCDE. Joseph E. Stiglitz, et Angel Gurria à l’ouverture de la conférence le 12 octobre à Paris.