Le classement Challenges révèle des enrichissements démesurés pendant la crise sanitaire. Le travail des hommes paie, pas celui des femmes. Le contraire d’un plan de relance féministe.
Au début de la crise sanitaire, le président de la République avait évoqué un « jour d’après » qui devrait être très différent du « jour d’avant » la crise. Les valeurs paraissaient chamboulées. Les invisibles, travaillant au service du bien-être général – majoritairement des femmes – devenaient soudain plus visibles, elles étaient applaudies. Et les riches vendant des produits de consommation pas toujours indispensables faisaient un peu moins de bruit.
Mais cette hiérarchie de valeurs fut éphémère. La course à la croissance économique fondée sur la production de biens et services marchands, et non sur la production de bien-être, a vite repris son cours.
Démesure
L’édition 2021 du classement Challenges des 500 plus grandes fortunes professionnelles de France en témoigne : le patrimoine professionnel global de ces 500 a fait un bond de 30% dans une période où le PIB a reculé de 8 %. 300 milliards d’euros de plus pour les plus riches pendant la crise ! Le magazine économique parle de « constat dérangeant » et de « démesure ». La fortune se concentre de plus en plus entre les mains de quelques-uns : les 10 Français les plus riches dépassent de 100 milliards les 490 autres. La France compte 109 milliardaires contre 95 l’an passé. «Ce sont les plus fortes progressions annuelles jamais enregistrées par notre palmarès, mis en place en 1996», a indiqué Challenges. Et c’est l’augmentation de la valorisation boursière dans l’industrie du luxe qui assure beaucoup de ces richesses. Bernard Arnault, patron du groupe LVMH est numéro un. Suivent les familles Hermès, puis Bettencourt (l’Oreal), les héritiers des fondateurs de Chanel et ceux de François Pinault (Kering). Outre le secteur du luxe, l’armement, les télécoms et le commerce en ligne ont fait la fortune de beaucoup d’hommes. Bien sûr, il y a quelques femmes dans ce classement, mais ce sont, des héritières (beaucoup d’hommes aussi sont des héritiers, mais pas tous).
Indignations. Le député François Ruffin a posté une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il propose quelques comparaisons et rappelle le contexte : « un an de crise sanitaire, un million de pauvres en plus et 300 milliards de plus pour les plus riches ». Il cite deux mesures qui auraient pu rendre des femmes moins pauvres. La première : « quand on voulait déconjugaliser l’allocation adultes handicapés » (lire :LE GOUVERNEMENT FAIT BARRAGE À LA DÉCONJUGALISATION DE L’AAH). Il calcule que ça aurait représenté 0,23 % de ces 300 milliards. La seconde : porter au Smic le salaire des accompagnantes d’enfants handicapés à l’école ? 0,1 % de l’augmentation de la fortune des milliardaires.
Rendez-vous manqué
L’ONG Oxfam France, qui lutte contre la pauvreté rappelle ses propres calculs : « entre mars 2020 et mars 2021, les milliardaires français ont gagné 170 milliards d’euros– soit deux fois le budget de l’hôpital public français »
Elle déplore : « Un Français sur 8 a besoin d’aide alimentaire pour vivre. » Alors l’ONG met en cause des « choix politiques » et notamment celui du « renflouement des marchés financiers dès les premiers jours de la pandémie. »
Oxfam France appelle à une fiscalité plus juste : «Si le gouvernement s’est jusqu’à maintenant toujours opposé à une contribution exceptionnelle sur le patrimoine des 1% les plus riches, il ne peut pas être insensible aux chiffres révélés par Challenges. Emmanuel Macron peut encore changer de braquet ! Comme en Argentine, en Nouvelle-Zélande, et peut-être bientôt aux Etats-Unis, la France doit être au rendez-vous de l’Histoire. »
Dans les choix politiques qui ont été faits durant la crise sanitaire et après, la question de la valorisation du travail invisible de production de bien-être, réalisé essentiellement par des femmes est restée invisible aux yeux des hommes qui prenaient les décisions en France . (lire : NOUVEAU CONFINEMENT, MÊMES ZONES D’OMBRE)
Pourtant, certains pays se sont engagés sur une meilleure répartition de richesse entre producteurs de biens de consommation et producteur-trices de bien-être (lire : QUAND LES RICHES CONTRIBUENT À PAYER LA PRODUCTION DE BIEN-ÊTRE)
Dès le début de la crise, tous les signaux étaient au rouge quant à l’emploi des femmes et leur risque d’appauvrissement. (lire : PLUS DURE SERA LA CRISE POUR LES FEMMES, LE HCE INTERPELLE). C’était la double peine annoncée: ce sont les femmes qui ont le plus travaillé pour subvenir aux besoins essentiels (voir : Les soldates du « care » en première ligne ) ainsi que dans les foyers (voir : Les femmes en font plus) mais ce sont elles, aussi, qui devaient se retrouver en première ligne sur le front du chômage.
Ces derniers mois, les appels à une politique de relance féministe se sont multipliés mais les responsables politiques français restent sourds à cette approche genrée de la politique.
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