Les nouvelles dispositions sur l’égalité professionnelle veulent obliger les dirigeants à regarder les discriminations en face et à agir. Une entreprise sur deux n’a pas publié son index.

« Pour moi, toutes les entreprises ont un plan d’action à mettre en place » Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, n’a pas fait semblant de croire que tout allait bien dans le meilleur des mondes en présentant les premiers résultats de l’index de l’égalité ce mardi, soit quelques jours à peine après l’échéance du 1er mars 2019, date à laquelle les entreprises de plus de 1000 salariés devaient publier leur bilan de l’égalité professionnelle sur leur site internet et transmettre leur note globale à l’administration (ce sera au tour des entreprises de plus de 250 salariés le 1er septembre 2019 puis 1er mars 2020 pour les plus de 50 salariés). Celles qui ont moins de 75 points devront mettre en place un plan d’action faute de quoi, elles s’exposeront à des sanctions pouvant aller jusqu’à 1% de la masse salariale.
L’index se fonde sur cinq indicateurs (le ministère explique le calcul ici):
– la suppression des écarts de salaire entre les femmes et les hommes, à poste et âge comparables : 40 points.
– la même chance d’avoir une augmentation pour les femmes que pour les hommes : 20 points.
– la même chance d’obtenir une promotion pour les femmes que pour les hommes : 15 points
– Toutes les salariées augmentées à leur retour de congé maternité, dès lors que des augmentations ont été données en leur absence : 15 points
– Au moins quatre femmes ou hommes dans les 10 plus hautes rémunérations : 10 points.
Même les 14 entreprises qui ont obtenu 100 à cet index ne peuvent se targuer de garantir l’égalité parfaite. Celles qui sont en dessous des 75 points ont beaucoup de travail et celles qui ne se sont pas pliées à l’obligation de transparence sont plus que suspectes.
Avec 100 points, une entreprise peut avoir seulement quatre femmes parmi les dix plus hautes rémunérations, ces femmes peuvent avoir les plus faibles rémunérations dans ce groupe de dix et l’on peut épiloguer sur lefaible nombre de points affectés à des critères qui agissent sur le plafond de verre comme les promotions et les augmentations. Ou sur le fait que les critères se compensent au point que, selon la CGT, « Il sera possible de ne pas être sanctionné tout en ayant un écart de rémunération de 15% ! » . Il se peut que des entreprises n’ayant aucune femme parmi les plus hautes rémunérations aient plus de 75 points.
Une dirigeante d’un réseau de femmes regrette aussi qu’il n’y ait pas de mesures pour assurer un meilleur équilibre entre femmes et hommes dans tous les métiers et fonctions. Les métiers très féminisés comme les métiers du soin ou de la petite enfance sont très féminisés et très mal payés tandis que les métiers de la high tech ou de l’encadrement sont très masculinisés et très bien rémunérés.
732 entreprises sur 1460
Les résultats de la première étape de la nouvelle loi sont là : sur les 1460 entreprises françaises de plus de 1000 salariés, seules 732 ont diffusé leur index sur internet soit une moitié seulement, celles qui ont déjà fait des efforts pour la parité probablement. Verre à moitié plein ou à moitié vide ?
Avant d’évoquer les résultats, la ministre a tenu à saluer la prise de conscience que cette nouvelle loi avait provoquée « alors que le principe ‘à travail égal salaire égal’ est dans la loi depuis 47 ans ». En faisant leurs comptes pour l’index, les patrons auraient découvert que des inégalités se propageaient dans leurs entreprises à leur insu… Comme les dirigeants de médias il y a quelques jours, ils tombent des nues ! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été alertés depuis des années par les réseaux de femmes en entreprises dont Muriel Pénicaud a été une active représentante. La prise de conscience sera-t-elle bien réelle cette fois-ci ? Jusqu’ici, les dirigeants d’entreprises avaient excellé dans l’art de l’esquive. On saura dans trois ans s’ils se contentent du minimum syndical de 75 points , s’ils mettent en place des plans d’action efficaces pour l’égalité professionnelle ou s’ils trouvent une façon de se dérober.
Aujourd’hui tout de même 118 entreprises (16 % de celles qui ont répondu) ont moins de 75 points. Et 201 entreprises ont zéro à l’indicateur n° 4 sur l’augmentation au retour de congé de maternité. Cette disposition figure dans une loi de 2006 mais peu d’entreprises l’appliquaient jusqu’à maintenant. L’index ne lésine pas : si une seule femme de retour de congés de maternité n’a pas bénéficié de cette augmentation, l’entreprise a zéro points.
Même si la ministre a tenté de résister à l’appel à citer les mauvais élèves, des noms ont fini par sortir, surtout ceux d’entreprises dans lesquelles l’Etat est actionnaire. Il y aurait dans ces entreprises des filiales peu au fait de l’égalité professionnelle. Thales, Safran, Renault ou Engie auraient de gros progrès à faire. L’Usine Nouvelle a compilé les scores des entreprises industrielles et il est à noter par exemple qu’Atos, l’entreprise dirigée par l’ancien ministre des Finances Thierry Breton, est en queue de peloton avec 71 points. Son Comité exécutif est très masculin. Ajout le 6 mars 2019 : depuis, Atos a recalculé son index qui est passé à 86 Après réception de données consolidées. Le groupe précise que « cette modification concerne les retours de congés maternité » et indique que : « dans son plan à 3 ans, Atos a d’ailleurs pour objectif de doubler le pourcentage des femmes au sein de l’équipe dirigeante tout en réduisant l’écart de rémunération de 3% par an. »
Au ministère, ce mardi matin, celles qui ont travaillé avec la ministre sur ce dispositif avaient le sourire. A l’approche de l’échéance, certaines femmes ont reçu des augmentations de salaire au mois de février dernier, qui n’est pas un mois habituel pour les augmentations. Mieux : des femmes en retour de congés de maternité ont obtenu une augmentation individuelle correspondant à la moyenne des augmentations de leur service. La peur du gendarme semble précéder la prise de conscience.