Des victimes persuadées d’être coupables. Pendant des mois, Natacha Henry s’est plongée dans le quotidien des femmes battues. Elle les a écoutées, a suivi leur parcours pour se reconstruire. Elle a enquêté auprès de la police, de la justice, des associations surtout. Et rend des hommages appuyés à ces femmes et ces hommes qui aident les victimes avec intelligence, générosité et très peu de moyens. Car cette violence, qui touche une femme sur 10, est tue. Et ce qui n’est pas médiatisé n’est pas aidé. Frapper n’est pas aimer, Denoël, en librairie dès aujourd’hui.
Ce sont d’abord des paroles qui entraînent les femmes dans une descente aux enfers. Puis des paroles qui leur feront retrouver le goût de vivre.
D’abord les paroles de ces hommes qui dévalorisent, isolent, mettent sous emprise ces femmes qu’ils persuadent d’être responsables des coups qu’elles prennent.
C’est toujours à cause d’elle qu’il s’énerve. Si elle avait été plus disponible, gentille, meilleure cuisinière, si elle avait rangé le pull comme il l’a dit. Mais elle est tellement nulle !… A force de le répéter, elle finit par le croire. Puis il s’excuse, elle le croit encore. Il lui fait tellement d’honneur de ne pas la jeter dehors comme un chien, elle, la moins que rien !… Alors elle prend les coups.
L’entourage n’y voit pas grand chose. Au début, ça peut ressembler à de l’amour, il ne veut pas qu’elle travaille à l’extérieur, il l’accompagne dès qu’elle met le nez dehors, il la coupe de ses proches. Cela ressemble à un amour exclusif parfois. C’est de la mise sous emprise.
Elle sent bien qu’il faut partir, mais elle ne voit pas comment, ni pour aller où. Et puis elle a peur que ce soit pire dehors, qu’il la retrouve et qu’il tape encore plus fort. Voire qu’il la tue comme c’est le cas d’une femme, tous les deux jours et demi en France. Natacha Henry raconte cette histoire saisissante d’une victime qui arrive devant un foyer pour femme battue, loin de son domicile. Pétrifiée, elle refuse de sortir du taxi qui l’a conduite. Malgré l’insistance du chauffeur, celle des responsables du foyer, elle préfèrera repartir vers son bourreau.
Mais il y a aussi les paroles qui aident à se reconstruire. Dans les « ateliers de couture », ces femmes créent, fabriquent, expriment leurs idées. C’est l’occasion de leur faire comprendre qu’elles ne sont pas les minables que leur compagnon a décrites « quand tu penses qu’on est zéro et qu’on a réussi à faire ça » dit Fatou à la fin d’un défilé organisé par l’atelier de couture. Et petit à petit se reconstruit l’estime de soi qui rendra ces femmes autonomes et les empêchera de retomber dans les bras d’un pervers.
Tous les milieux sociaux
« Frapper n’est pas aimer », il faut le dire, il faut en finir avec cette omerta généralisée. La « violence conjugale » n’est pas le fait d’hommes en déroute sociale comme on pourrait trop facilement l’imaginer. Elle touche tous les milieux. Les plus bourgeois n’apparaissent pas clairement dans les statistiques. Non par absence de violence mais parce que les femmes ne rencontrent pas souvent les travailleurs sociaux dans ces milieux-là. Et puis leur époux est souvent un notable de la ville qui va nier les faits et la faire passer pour folle… Ce que croiront bien volontiers ceux qui auraient dû aider la femme.
Aujourd’hui, bien qu’en 2010 la violence faite aux femmes soit enfin considérée comme une « grande cause nationale », ce fléau est encore mal compris et minimisé. Lorsqu’un homme violent passe aux actes et tue sa compagne, les médias parlent de « crime passionnel », de « drame de l’amour », de « différent conjugal »… Décalage entre les mots et la réalité des faits … « Tuée par son amoureux éconduit ». « Un amoureux éconduit, quand on a seize ans, c’est un garçon qui envoie des mots d’amour, balbutie des compliments et demande à une amie d’intercéder en sa faveur » écrit Natacha Henry… Pas le type qui s’introduit par effraction chez son ex-petite amie, la viole et la tue après avoir endormi sa mère à l’éther. Pourtant, dans les journaux, c’est ainsi qu’on appelle cet assassin. Un « amoureux éconduit » ? Non, « frapper n’est pas aimer ».
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Natacha Henry sur France Inter ce matin