Lorsque Caroline Alazard lance en 2007 sa start-up Greenext, pour calculer le coût environnemental de la consommation, elle part d’une page blanche. Avec pour seul guide son intuition. Deux « Grenelle » après, l’entreprise participe aux négociations au sommet et vient d’effectuer une levée de fonds de deux millions d’euros.
À deux pas de la place de la Bastille à Paris, un bureau presque comme les autres : rangées d’ordinateurs, cafetière et dossiers. À quelques différences près : les ingénieures femmes sont majoritaires, les produits bio et les plantes vertes, abondants. Le « prix 2009 de la croissance verte numérique » est accroché dans un cadre rose sur le mur blanc. La directrice et fondatrice Caroline Alazard, la cinquantaine pétillante, prévient : « Nous devons déménager, l’entreprise est désormais trop grande pour l’endroit ».
L’impact carbone, le calculer pour le réduire
Greenext est une jeune start-up qui se porte très bien. Spécialisée dans l’élaboration du coût environnemental des produits de grande consommation, son innovation réside dans la massification des calculs. Plus concrètement, Caroline Alazard et sa collaboratrice ingénieure agronome Clarisse Fischer ont mis au point un process permettant d’analyser le cycle de vie d’un produit, depuis l’extraction des matières premières jusqu’au traitement des déchets, et d’en calculer la production de carbone. On peut ainsi savoir que des poires produites en France et consommées en saison pèsent seulement 10 % de l’équivalent carbone des poires importées de l’hémisphère sud.
Et, contrairement à d’autres agences, elles sont parvenues à industrialiser les résultats, ce qui rend la démarche moins coûteuse et plus rapide, accessible aux grands groupes comme aux PME. Aujourd’hui, les données de 500 000 produits sont disponibles et permettent de déduire l’impact environnemental de centaines de milliers de références.
« Dès le début, nous étions convaincues que la mise à disposition massive de l’information environnementale conduirait les acteurs économiques – industriels, distributeurs, consommateurs – à changer leurs pratiques de consommation », avance Caroline Alazard. Greenext fournit ainsi des données génériques à l’industriel ou au distributeur qui ne dispose pas de toutes les informations pour calculer son impact carbone. L’entreprise lui permet de mieux connaître ses enjeux, d’analyser ses points de faiblesse ou d’amélioration. Quant au consommateur, il peut évaluer le coût environnemental de son panier grâce au ticket de caisse, qui indique le total des quantités de gaz à effet de serre émis par les produits qu’il achète.
Dans les prochains mois, Greenext fournira ses données à l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui les transmettra aux pouvoirs publics dans le but d’analyser l’impact carbone de la consommation des ménages. « Une grande reconnaissance », confie Caroline Alazard, entre fierté et modestie. Une peu surprise d’avoir aussi bien réussi.
Des débuts chaotiques
Car les débuts n’ont pas été si simples. Lorsqu’elle a la première intuition de Greenext, Caroline Alazard est une bleue dans le vert. Mais depuis sa sortie de l’école supérieure de commerce de Rouen, elle entretient son profil d’entrepreneuse innovante et participe notamment au lancement de Wanadoo / France Telecom. En 2006, elle effectue une mission pour une agence de communication spécialisée en nutrition. Et c’est le déclic. « J’ai fait une analogie entre l’étiquette nutritionnelle et une future étiquette environnementale », raconte-t-elle. « Avec l’arrivée de la présidentielle, j’étais persuadée que le ou la futur(e) président(e) ferait de l’environnement une priorité », poursuit-elle.
Caroline Alazard s’associe alors avec la scientifique Clarisse Fischer et présente son projet à Paris Pionnières, un incubateur au féminin d’entreprises innovantes. Elle y reste un an. Pas de tout repos. « Nous avons commencé en SARL, avec un capital de 2 000 euros. Nous avions beaucoup de difficultés à faire rentrer des fonds, se souvient-elle. Or pour suivre le marché et développer notre solution, nous avions besoin de moyens. J’ai failli arrêter plus d’une fois ».
Tout miser sur l’innovation
Puis, tout s’accélère. Greenext noue des partenariats stratégiques avec des panellistes et des bureaux d’études. Fin 2007, Caroline Alazard contacte l’Ademe dans le Nord-Pas-de-Calais, qui l’autorise à expérimenter sa solution dans les centres Leclerc de la région. C’est un succès : le directeur commercial transforme ses pratiques. « Il a pris conscience de l’importance du lieu d’approvisionnement des fruits et légumes. Il contrôle davantage la gestion des emballages et la chaîne du froid », témoigne l’entrepreneuse. Et les consommateurs se montrent très attentifs au ticket de caisse.
Encouragée par cette réussite, Greenext intègre la plateforme Afnor/ Ademe qui pilote le développement des méthodes de calcul. Elle remporte le prix de la croissance verte numérique et réussit une première levée de fonds de 500 000 euros en 2009. L’entreprise participe aussi à la préparation de la réglementation nationale – bientôt obligatoire – de l’impact carbone prévue par le Grenelle II de l’environnement.
Mais l’entrepreneuse n’entend pas s’arrêter là. Grâce à sa dernière levée de fonds de deux millions d’euros en juin dernier, elle souhaite développer d’autres données que l’impact carbone. Encore une fois, elle est en avance. « Nous attendons que les pouvoirs publics se positionnent sur les autres critères qui seront réglementés à terme ».
L’anticipation reste le maître-mot de Caroline Alazard. « Nous avons toujours eu la volonté d’être très innovants et d’anticiper sur les besoins de la société », affirme-t-elle. Au-delà d’une conviction personnelle, c’est aussi une manière, en tant que femme, de s’imposer dans un milieu scientifique encore très masculin. « Si beaucoup de femmes se sont impliquées dans notre projet, c’est qu’elles peuvent trouver leur place, parce qu’elles la créent ».
