Le 26 novembre 1974, Simone Veil, alors ministre de la Santé, prononçait son discours historique sur l’interruption volontaire de grossesse devant les députés. Un demi siècle plus tard, ce droit reste menacé.
« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. C’est toujours un drame, cela restera toujours un drame. » C’est ainsi que Simone Veil ouvre son discours pour défendre son projet de loi visant à dépénaliser l’avortement face à l’Assemblée Nationale le 26 novembre 1974. Un discours déterminant pour la lutte pour les droits des femmes.
Une loi historique
Les femmes ont toujours avorté. Longtemps réduites à l’illégalité, elles ont dû se débrouiller. Celles qui avaient les moyens se rendaient dans les pays où l’interruption volontaire de grossesse (IVG) était déjà dépénalisée. Les autres faisaient comme elles pouvaient, avec ce qu’elles avaient sous la main, comme des cintres ou des aiguilles à tricoter, laissant ces femmes mutilées ou stériles. Résultat : dans les années soixante-dix, une femme meurt chaque jour des suites d’un avortement clandestin.
Il y a 50 ans, jour pour jour, Simone Veil interpellait les députés de l’Assemblée Nationale face à cette urgence à agir : « Je voudrais vous faire partager une conviction de femme. Je m’excuse de le faire devant cette assemblée presque exclusivement composée d’hommes, déplore la ministre, avant d’ajouter : Actuellement, [les femmes] qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s’en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l’opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l’anonymat et l’angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection. »
En 1971, le manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté est publié dans le Nouvel Observateur ou encore le procès Bobigny, en 1972, ont permis de briser le tabou de l’avortement, de provoquer une prise de conscience collective et de faire grandir la revendication de la liberté de choisir. Le 17 janvier 1975 : victoire. Suite à la mobilisation féministe et l’engagement de Simone Veil, le Parlement adopte la loi Veil, dépénalisant ainsi l’IVG.
Un accès encore inégal à l’IVG
Suite à cette loi, l’accès à l’IVG ainsi qu’à la contraception s’est progressivement démocratisé. Mais, encore aujourd’hui, il reste inégal sur le territoire. En mars 2022, la promulgation de la loi d’Albane Gaillot prévoyait de faciliter l’accès à l’IVG instrumentale, c’est-à-dire par aspiration, en permettant aux sages-femmes de la pratiquer. Or, le décret d’application de la loi, promulgué le 16 décembre 2023, a posé de nombreuses conditions qui altèrent le déploiement de cette mesure sur l’ensemble du territoire. Notamment, la présence d’un « médecin compétent en matière d’IVG, un·e gynécologue obstétricien.ne, un·e anesthésiste réanimateur·ice ainsi qu’une équipe ayant la capacité de prendre en charge des embolisations artérielles ».
Une multitude de conditions que la majorité des établissements de santé du territoire ne parviennent pas à rassembler. Limitant ainsi les options possibles pour les femmes résidants dans les déserts médicaux. « Pourquoi tutelliser autant les sages-femmes ? Cela revient à entraver la possibilité de combler ces inégalités d’accès aux soins, notamment là où il manque des intervenants. Il faut laisser les sages-femmes déployer leurs compétences, de manière autonomes et responsables, telle la profession médicale qu’elles sont », s’indignait alors Claire Wolker, sage-femme et coprésidente de l’Association Nationale des Sages-Femmes Orthogéniques (ANSFO), interviewée par Les Nouvelles News.
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Il suffira d’une crise…
En un siècle, l’IVG a été légalisée dans une cinquantaine de pays à travers le monde. Mais ce droit est constamment menacé. En novembre 2023, le Sénat a organisé un colloque consacré au droit à l’avortement dans le monde. Bilan : un retour de bâton a provoqué un recul des droits des femmes dans de nombreux pays où l’avortement avait été dépénalisé, parfois depuis un demi siècle. En juin 2022, la Cour suprême américaine annule l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait aux Américaines le droit d’avorter depuis 1973, laissant à chaque État la liberté de légiférer. En Argentine, les femmes ont gagné le droit à l’avortement en 2020. Mais l’arrivée au pouvoir en 2023 du candidat d’extrême droite Javier Milei, hostile à l’IVG, menace ce droit si durement acquis. En Pologne, pays membre de l’Union Européenne, l’IVG reste interdite sauf en cas de danger pour la mère, de viol ou d’inceste. Encore aujourd’hui, l’avortement reste strictement interdit dans 24 pays.
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Au discours de Simone Veil, on pourrait alors ajouter les paroles de Simone de Beauvoir qui martelait : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
#IVGDansLaConstitution : "Depuis 1975, les anti-IVG n'ont jamais renoncé", déclare @laurossignol."Nous leur disons : c'est fini !".
— LCP (@LCP) March 4, 2024
"La France qui est là en Congrès aujourd'hui, c'est la France qui rayonne".#DirectAN #IVG pic.twitter.com/13DIa8naT3
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En France, l’inscription de l’IVG dans la Constitution a suscité de nombreux débats, exposant les dernières résistances, encore bien présentes, à ce projet. Résultat : le 4 mars 2024, c’est la « liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG » qui est inscrite dans la Constitution, et non « le droit ». Une sorte de compromis entre le texte de La France Insoumise adopté en 2022 par l’Assemblée Nationale pour « l’effectivité et l’égal accès au droit à l’IVG » et la formulation « liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse » proposée par le Sénat. Mais les féministes continuent de le marteler : « Interdire le droit à l’IVG n’empêche pas les femmes d’avorter ». Pour la Fondation des Femmes, cela place ces dernières « dans l’illégalité et les conduit à la clandestinité. L’accès à l’avortement est une question de santé publique, aujourd’hui encore, une femme meurt toutes les 9 minutes des conséquences d’un avortement clandestin dans le monde. »
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