
Parce qu’elle est la compagne de Yannick Jadot, la journaliste engagée pour la défense de l’environnement a préféré quitter RTL après avoir été la cible de critiques démesurées.
«Je n’ai pas perdu mon doctorat, mon diplôme de Sciences Po, mes vingt ans de journalisme ni ma carte de presse, pas plus que mes neurones parce que je suis en couple avec Yannick. J’existais avant, j’avais déjà une parole libre et engagée.» Interviewée par le Parisien, la journaliste Isabelle Saporta est amère. Elle vient d’annoncer sa démission de RTL. La raison ? Au soir des élections européennes, elle s’est affichée aux côtés de Yannick Jadot, son compagnon depuis deux ans. Tête de file d’EELV, arrivé troisième avec un fier score de 13,5 % des voix, il l’a remerciée dans son discours.
Illico, il lui a été reproché, sur les réseaux sociaux et au sein de sa radio d’avoir « caché » cette liaison. Face au déferlement de critiques, elle a décidé de démissionner « pour ne pas nuire à cette rédaction que j’adore » dit-elle.
Jurisprudence de tribunal misogyne : Isabelle Saporta doit donc faire comme Léa Salamé qui s’est éclipsée pour Raphaël Glucksmann, comme Audrey Pulvar en 2007 pour Arnaud Montebourg, comme Anne Sinclair en 1997 pour Dominique Strauss-Kahn, comme Marie Drucker en 2006 pour François Baroin, ou encore Béatrice Schönberg pour Jean-Louis Borloo. Les exaspérés du féminisme ont beau agiter l’exemple de Franck Ballanger, le compagnon de la ministre des Sports Roxana Maracineanu écarté de l’antenne de France Inter, ce sont le plus souvent, des femmes qui sont priées de se faire discrètes pour la carrière de leur conjoint. Léa Salamé en était consciente. (Voir : LÉA SALAMÉ : L’ÉCLIPSE QUI CONFIRME LA PERMANENCE DU SEXISME)
Quel est le problème ? L’incapacité supposée des femmes journalistes à penser différemment de leur homme ? La situation d’un couple journaliste / responsable politique est-elle si différente de celle d’ami.e.s proches journaliste/ responsable politique ou même journaliste / dirigeant d’entreprise ?
La situation d’Isabelle Saporta n’est pourtant pas la même que celles des femmes journalistes priées de s’éclipser. Dans son cas, le risque de conflit d’intérêt est encore plus loin d’être évident. Elle ne tend pas le micro à tous les candidats aux élections européennes et ne risque pas de se trouver face à des concurrents de son compagnon comme Lea Salamé. Elle était l’auteure de chroniques clairement engagées dans la matinale de RTL. Précisément parce qu’elle est une journaliste engagée, « RTL est venue me chercher en 2018 pour livrer un billet d’humeur sociétal, à tendance écolo. » dit-elle au Parisien. Depuis qu’elle est journaliste, ses articles, reportages et ses livres militent pour la protection de l’environnement. Elle n’hésite pas à dénoncer des pratiques douteuses. En 2011, Le Livre noir de l’agriculture : comment on assassine nos paysans, notre santé et l’environnement, suivi de son documentaire Manger peut-il nuire à la santé ? diffusé sur France 3, puis son livre Vino business en 2014, lui ont valu quelques procès qu’elle a gagnés.
Journaliste engagée, elle affiche la couleur. Elle a choisi d’éclairer l’opinion sur ce qui dysfonctionne dans la protection de l’environnement. C’est du journalisme ouvertement militant. Mais le journalisme est toujours militant. La seule hiérarchisation de l’information est un acte militant. Tendre le micro aux promoteurs de la croissance économique et du productivisme et marginaliser les promoteurs du développement durable comme l’a longtemps fait la presse économique est un acte militant. Le journalisme ne peut pas être objectif. Il doit être honnête et afficher une ligne éditoriale claire. Qu’Isabelle Saporta soit la compagne de Yannick Jadot ne change rien à son engagement et aux opinions qu’elle exprimait quand elle a été recrutée par RTL.
Il est assez croquignolesque de voir que le plus ardent critique dans cette affaire a été Olivier Auguste, rédacteur en chef adjoint du journal « l’Opinion » justement. Un journal qui s’affiche « libéral, européen et pro-business », un journal qui veut façonner l’opinion. Sur twitter, il a été le premier à dégainer : « Je me fous de la vie privée des gens mais qu’Isabelle Saporta ait une chronique sur @RTLFrance consacrée à des thèmes écolos-bio-bonne conscience à peu près 1 matin sur 2, et qu’on apprenne au lendemain des #européennes2019 qu’elle est la compagne de Y. Jadot, comment dire… »
Manifestement, ce sont les sujets « écolos-bio-bonne conscience » qui le dérangent. Interpellé, il ajoute : « J’ai dit qu’elle aurait dû être transparente et, a minima, s’abstenir de parler écologique pendant la durée de sa campagne. » Mais c’est le choix de la radio de diffuser de tels sujets en ayant confié des chroniques sur l’écologie à une journaliste engagée. Qu’elle soit ou non la compagne de Jadot n’y change rien.