
Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie
Seule femme DG d’une entreprise du CAC40, elle est poussée vers la sortie. Deux enjeux dans cette querelle de patron.e.s : la place des femmes au sommet des entreprises et les choix énergétiques de la France.
C’est une histoire à rebondissements qui passionne le petit milieu des dirigeants des plus grandes entreprises françaises sur fond de rivalités personnelles, de coups tordus, de guerre de clans et de choix politiques hypocrites. Une querelle des anciens et des modernes au sein de groupe Engie, ex-GDF Suez, qui déborde à l’extérieur. Une entreprise que la directrice générale veut faire évoluer vers l’énergie verte.
Le renouvellement du mandat d’Isabelle Kocher devait initialement être décidé lors d’un conseil d’administration le 26 février prochain, mais la guerre d’influence est telle qu’il a été décidé le 5 février qu’un Conseil d’administration extraordinaire se réunirait le lendemain pour statuer sur son sort. (Ajout le 7 février : ce CA a décidé de mettre fin à ses fonctions.) Ceci après la publication d’une tribune signée par des responsables politiques et des patrons de tous bord en faveur de la DG et d’une énergie verte. Et après que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a affirmé que l’Etat, actionnaire à hauteur de près de 24 %, se rangerait à l’avis du Conseil d’administration et se prononcerait «uniquement et exclusivement» sur des critères économiques. Histoire d’une querelle de personnes, de femme leader et de résistance à la transition écologique
Les querelles ont commencé en 2016, quand Isabelle Kocher est devenue la première femme directrice générale d’une entreprise du CAC 40. Elle aurait dû être nommée Présidente-directrice générale, c’est-à-dire occuper, comme son prédécesseur Gérard Mestrallet, les fonctions exécutives et non exécutives. C’est ce qui lui avait été promis lorsqu’elle avait été recrutée n° 2 du groupe Engie en 2014. Mais au dernier moment, l’ex s’est accroché à son fauteuil et a convaincu le Conseil d’administration de le maintenir au poste de président (en changeant les statuts du groupe pour repousser la limite d’âge des présidents) .
Voir : Raté, Isabelle Kocher ne sera pas la première
Isabelle Kocher en a pris ombrage et l’a fait savoir. Mestrallet n’a pas apprécié et, lorsqu’il a quitté la présidence en 2018, il s’est arrangé pour installer dans son fauteuil Jean-Pierre Clamadieu, ex-patron du groupe de chimie Solvay. Ce qu’Isabelle Kocher a fort peu apprécié.
Une fois aux commandes, la directrice générale a opéré une révolution énergétique. Vente d’actifs non stratégiques (à hauteur de 15 milliards) en commençant par les très polluantes centrales à charbon et cap sur les énergies vertes en achetant notamment tout récemment des centrales hydroélectriques. Cette stratégie de mise en œuvre de la transition énergétique ne permet pas d’afficher une rentabilité rapide. Mais ce n’est pas ce qui est reproché à Isabelle Kocher. Ce qui est mis en cause est son style de management, son côté « franc-tireur »… Le rythme d’achats et de ventes a irrité les membres du conseil d’administration et suscité la colère d’une partie des salariés. Il lui est aussi, accessoirement, reproché en interne ses alliances et réseaux catholiques…
Pour déstabiliser la DG, le conseil d’administration a décidé, l’été dernier, de faire réaliser un audit par le cabinet indépendant Korn Ferry sur les performances d’Isabelle Kocher. Ce qui avait conduit Chiara Corazza, la présidente du Women’s Forum, à publier une tribune de soutien à Isabelle Kocher dans Les Echos. « Pourquoi requérir pour elle – et elle seule – et pas pour tous, une évaluation inédite par un cabinet d’audit international ? » demandait-elle en louant son engagement : « Combien de femmes dans le monde sont actives dans une transition énergétique et écologique nécessaire et indispensable ? »
Finalement l’audit n’a rien révélé d’alarmant sur le travail de la DG d’Engie… Le rapport estimait même qu’elle était en capacité de mener «la seconde phase de transformation de l’entreprise.»
Las, les attaques continuent. Alors la DG s’active et communique tous azimuts. Dimanche elle accordait une interview au JDD pour «répondre aux attaques qui la visent». Plus diplomate, sur Twitter elle explique : « Interviewée par le @leJDD, j’ai réaffirmé ma motivation pour poursuivre ma mission en tant que directrice générale d’@ENGIEgroup. Collaborateurs & clients nous encouragent à accélérer la transformation et je suis prête à la mener. »
Mardi 4 février, 53 personnalités signaient une tribune intitulée « Isabelle Kocher, une voix indispensable pour une France leader de l’économie verte. » Parmi eux des personnalités politiques et dirigeants d’entreprise très divers comme Aurore Bergé, Xavier Bertrand, Myriam El Khomri, Marie Eloy, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Frédéric Mazzella, Sophie De Menthon, Renaud Muselier, Laurence Tubiana… Tous saluent sa « formidable réussite » sur la question de la transition énergétique
Et à plusieurs reprises dans différents médias Yannick Jadot, député européen Europe Ecologie-Les Verts, a repris les arguments de cette tribune en déclarant notamment sur France Info à propos d’Engie: « C’est une entreprise qui n’est pas parfaite, qui a encore des actifs dans le charbon, dans le gaz. Mais c’est une entreprise qui, sous la direction d’Isabelle Kocher, est en train de faire sa révolution énergétique »
Tout cela ressemble à un bon « plan com » de la part de la DG. Libération croit d’ailleurs savoir que « deux gros cabinets de conseil en communication sont désormais mobilisés pour mener le combat en faveur de son renouvellement. »
Ajout le 7 janvier : Pas assez pour contrer les vieux briscards du CAC40. Au fond, le seul reproche qui est fait à Isabelle Kocher, tant dans le communiqué d’Engie que dans les « offs » livrés à la presse, est d’être une femme insoumise. Sa stratégie n’est pas en cause mais son leadership oui. Le communiqué dit que : « l’approfondissement de la stratégie nécessitait un nouveau leadership» mais veut continuer à « faire d’Engie un leader de la transition énergétique et climatique» . Mais pas « à marche forcée » comme il a été reproché à Isabelle Kocher de le faire… Pas d’urgence climatique ? Une autre femme a pris une décision courageuse pour la transition énergétique : Anna Bateson a décidé de priver le Guardian des recettes publicitaires des énergies fossiles (voir ici). Combien de temps les vieux briscards de la vieille économie vont-il l’emporter sur les insoumises écolo ?