Du Brésil aux Etats-Unis, en passant par la Pologne, la guerre contre l’IVG est féroce. En France, l’idée d’inscrire ce droit dans la Constitution pour le protéger ne fait pas l’unanimité.
Après qu’une enfant de 11 ans, victime d’un viol, a interrompu sa grossesse légalement au terme d’une longue course d’obstacles, le président brésilien Jair Bolsonaro a déclaré « c’est inadmissible de tuer cet être sans défense ». Au Brésil, alors que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’est autorisée qu’en cas de viol, de risque pour la mère ou de grave malformation du fœtus, la fillette a dû attendre très longtemps pour avorter. Un mois et demi auparavant, une juge avait interdit cet acte et décidé de séparer la fillette de sa mère. L’affaire a fait beaucoup de bruit avec le slogan «Criança não é mãe» (une enfant n’est pas une mère) et le « Ministério Público Federal » a fini par ordonner à l’hôpital, qui l’avait refusé au début, de réaliser l’avortement. Mais le président d’extrême-droite Bolsonaro voudrait étendre l’interdiction à tous les cas. Il a dénoncé le « harcèlement des groupes pro-avortement » et repris le narratif des anti-avortement en publiant une photo d’un bébé né prématuré.
Guerre de croyances, guerre de communication.
Dans le même temps, vendredi 24 juin 2022, aux Etats-Unis, un arrêt de la Cour suprême a officiellement supprimé le droit constitutionnel à l’avortement comme cela était à craindre.
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L’annonce a suscité une vague de réactions indignées de la part de dirigeants du monde entier, mais en annulant l’arrêt Roe v. Wade, les États-Unis rejoignent des pays comme la Pologne, la Russie et le Nicaragua, qui ont réduit l’accès à l’IVG au cours des dernières décennies. Tandis qu’une grande partie du monde est allée dans l’autre sens. Plusieurs pays ont en effet libéralisé des lois restrictives, notamment l’Irlande en 2018, l’Irlande du Nord en 2019, l’Argentine en 2020, le Mexique l’année dernière ou la Colombie cette année. Et vendredi dernier, le Parlement allemand a abrogé une loi qui, bien que souvent ignorée, a longtemps interdit aux médecins de faire de la publicité pour les services d’avortement. Fournir des informations publiques sur la procédure était jusqu’alors considéré comme un crime… Au Mexique, qui dépénalisait l’avortement en septembre dernier, les militant.es se préparent depuis des mois à aider leurs voisines des Etats-Unis à obtenir des IVG…
Mais la décision des Etats-Unis donne aussi des ailes aux croisés anti-IVG, partout dans le monde. Cette décision est d’ailleurs le fruit de campagnes de communication intenses, organisées avec les moyens impressionnants de mouvements religieux qui ont su notamment prendre le virage d’internet. A tel point qu’en 2017, la France a créé un « délit d’entrave à l’IVG » pour contrer les « pressions morales et psychologiques » d’une information volontairement faussée. Mais il a fallu en passer par le Conseil constitutionnel.
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Chaque progrès pour le droit à l’avortement a été un dur combat. Alors, les appels à renforcer ce droit en France grondent. Manifestations dans les rues et sur les réseaux sociaux pour inscrire ce droit dans le marbre de la Constitution. Le mouvement #ivgconstitutionurgence est très suivi. Et la majorité présidentielle semble, cette fois-ci, décidée à porter cette revendication : Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance (ex-LREM) à l’Assemblée nationale, a annoncé, samedi 25 juin, le dépôt d’une proposition de loi. La Première ministre, suivie par plusieurs membres du gouvernement, a dit soutenir « avec force » cette proposition.
Faux consensus en France
De la force, il en faudra, pour amener une partie de la majorité présidentielle à soutenir cette idée portée par la gauche. C’est d’ailleurs la gauche qui a tiré la première. Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale, annonçait, dès le 24 juin, qu’elle proposerait à l’alliance de gauche (Nupes) de déposer un tel texte. Déjà, ce lundi 27 juin, le groupe socialiste au Sénat a déposé une proposition de loi. Durant la dernière mandature, la gauche avait tenté par deux fois d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution… Dont LREM n’a jusqu’ici jamais voulu.
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Ce qui a l’apparence d’un puissant consensus, semble cependant fragile. Et pas seulement parce que l’extrême droite, qui pèse lourd désormais à l’Assemblée Nationale, est une farouche combattante du droit à l’avortement.
Dimanche sur BFMTV, François Bayrou, président du Modem, allié à la majorité présidentielle, s’est interrogé, sur l’utilité, « en ce moment, d’aller organiser un référendum sur cette question ». Manifestement mal informé, il prétend « qu’aucun courant politique ne remet en question la loi Veil et ce qu’elle est devenue dans les évolutions qui l’ont suivie ».
Dans les médias amateurs de clashs, les croisés anti-avortement ont eu tout le loisir de lancer la charge médiatique contre ce projet. Sur la chaîne du fervent catholique Vincent Bolloré, CNews, les anti-IVG ont table ouverte. A commencer par l’une des « meilleures clientes » pour le sujet, Ludovine de la Rochère, meneuse du mouvement anti-mariage pour tous. Elles a pu se lancer, sans contradiction, dans un gloubi-boulga fait de fausses informations et de raisonnements approximatifs pour dire « Donner la liberté à chacun des Etats de décider, je trouve ça particulièrement respectueux de la démocratie »… La liberté des femmes n’étant manifestement pas un sujet. Elle affirme même qu’ « une étude scientifique démontre qu’en cas de viol le risque de tomber enceinte est minime »… La fillette brésilienne de 11 ans appréciera.
Ces offensives de communication sont d’autant plus dangereuses que changer la constitution est une opération complexe et très sensible aux frémissements de l’opinion. L’article 89 de la constitution dit que ces « projets de loi constitutionnels » -présenté par le gouvernement- et propositions de loi constitutionnelles -présentées par les parlementaires- sont adoptés par référendum. Mais, seul le « projet de loi constitutionnelle » peut être adopté par les trois cinquièmes de l’ensemble des parlementaires (député.es et sénateurs.trices) réunis en congrès.
Si la disposition doit être adoptée par référendum, la bataille de l’opinion pourrait être très dure. Autre risque : voir la question du référendum se transformer en « pour ou contre la majorité présidentielle » et éclipser la question de l’IVG… Les médias auront un rôle crucial à jouer.
La bataille de l’opinion est lancée. Le mouvement #ivgconstitutionurgence prend de l’ampleur. La militante Sofia Sept invite les femmes à poster des photos d’elles avec le mot dièse du mouvement et la mention « Merci mon dieu j’ai avorté ». Et comme les féministes gardent le sens de l’humour malgré tout, on peut aussi lire : « Tes prières loin de mes ovaires ! ».
Une pétition à signer ici prépare un combat solidaire avec les femmes des Etats-Unis.
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