#SeAcabó (“C’est fini !”) ont dit les joueuses espagnoles après le « baiser forcé » lors de la Coupe du monde de foot. De la dénonciation publique au dépôt de plainte, histoire d’une mobilisation pour contrer le récit des agresseurs sexuels.
Les 23 championnes du monde espagnoles de football « ont gagné deux fois : une fois sur le terrain, et ensuite en donnant une leçon au monde, une leçon d’égalité entre les hommes et les femmes », a déclaré le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, samedi 2 septembre. Mais à cette date, le deuxième combat n’était pas encore terminé. Quelques dirigeants du foot et stars de cinéma tentaient encore, dans les médias, de couvrir la « leçon d’égalité » par leurs discours misogynes…
Entre le 20 août, date du « baiser forcé » gâchant la victoire en Coupe du monde de foot de l’équipe espagnole, et le 6 septembre, date à laquelle une plainte a été déposée, une poignée d’hommes puissants a épuisé toute la rhétorique de « la culture du viol » (l’inversion de culpabilité dans les affaires d’agression sexuelle)… Jusqu’à ces derniers jours quand Woody Allen, depuis la Mostra de Venise, a déclaré dans le quotidien espagnol El Mundo : « Il ne l’a pas violée, ce n’était qu’un baiser… » déplorant qu’un homme puisse perdre son travail pour ça.
Retour sur un combat médiatique. Le 20 août, lors de la remise des médailles aux joueuses espagnoles pour leur victoire historique à Sydney, Luis Rubiales, président de la fédération espagnole, a saisi la tête de Jenni Hermoso et l’a embrassée sur la bouche. Immobile, comme en état de sidération, la numéro 10 de la Roja dira sur Instagram depuis les vestiaires : «Ça ne m’a pas plu, hein !»
Mais, Luis Rubiales a pris le sujet avec légèreté, traitant ses détracteurs d’«idiots et gens stupides» assurant qu’il avait fait ça «sans méchanceté».

Alors que la loi espagnole qualifie un tel acte d’ « agression sexuelle » Le vendredi 25 août, devant le Comité des présidents de Fédérations de la Fédération royale espagnole de football (RFEF) – qui compte six femmes parmi ses 160 membres –, Rubiales requalifiait les faits. Dans cette assemblée très masculine filmée par El País (cf photo), il n’était aucunement question d’ « agression sexuelle » mais de « petit bisou », « réciproque et « consenti ». Il s’en prenait à ce qu’il appelait un « faux féminisme » fustigeant « une tentative d’assassinat social » et répétant qu’il ne démissionnerait pas. Sous les applaudissements d’une partie des membres de la fédération présents, notamment Jorge Vilda, l’entraîneur de l’équipe nationale féminine espagnole, et l’entraîneur de l’équipe nationale masculine, Luis de la Fuente. Et la RFEF n’hésitait pas à écrire dans un communiqué : Jenni Hermoso « ment dans toutes ses déclarations contre le président ».
Il a fallu une énorme mobilisation pour contrer ce récit qui protège les agresseurs. Jenni Hermoso a publié une longue mise au point « Je me suis sentie vulnérable et victime d’une agression, d’un acte impulsif et sexiste, déplacé et sans aucun consentement de ma part » a-t-elle notamment écrit sur les réseaux sociaux. Elle a également révélé que la fédération avait fait pression pour qu’elle minimise « son ressenti ».
Les 23 joueuses de l’équipe championne du monde, et une soixantaine de leurs consœurs, annonçaient qu’elles quitteraient la Roja « si les dirigeants actuels [étaient] maintenus ». De nombreux sportifs et sportives ibériques ont également pris fait et cause pour Jenni Hermoso comme les footballeuses Alexia Putellas et Aitana Bonmati, la légende du basket Pau Gasol ou l’ancien gardien du Real Madrid Iker Casillas. Plusieurs internationales de football se sont exprimées sur les réseaux sociaux, dont Megan Rapinoe, star du foot aux Etats-Unis. « Ils nient ce que nous avons vu de nos propres yeux et qualifient cela de vérité », a-t-elle écrit sur Instagram.
Irene Montero, la ministre espagnole de l’Egalité, contrait ainsi le discours de la RFEF : «C’est une forme de violence sexuelle que nous, les femmes, subissons au quotidien et jusqu’à présent invisible, et que nous ne pouvons pas normaliser».
Et le rapport de force s’est progressivement inversé. Le gouvernement espagnol a porté l’affaire devant le Tribunal administratif des sports. La FIFA, fédération internationale de football, a décisé de suspendre Luis Rubiales, de ses fonctions pour quatre-vingt-dix jours en attendant l’avancée des procédures en cours.
Mais il a fallu attendre le mardi 5 septembre pour que la RFEF « demande pardon » au « monde du football et à l’ensemble de la société » pour le comportement de son président Luis Rubiales, dans un communiqué contri. « Les dommages causés au football espagnol, au sport espagnol, à la société espagnole et à toutes les valeurs du football et du sport » par l’attitude de Rubiales « ont été énormes », reconnaît la fédération. « Nous devons présenter nos excuses les plus sincères et nous devons prendre l’engagement ferme et absolu que de tels événements ne puissent plus jamais se reproduire. »
Un communiqué bienvenu après tant de résistance mais… écrit l’éditorialiste Nancy Armour dans USA Today, « Quand – et je dis bien quand, pas si – [Rubiales] partira, ce sera parce qu’il a gêné les autres hommes du sérail et constitué une menace pour la candidature de l’Espagne au Mondial masculin en 2030. Le sexisme est tellement ancré dans le système que les mauvais traitements infligés aux femmes sont rarement pris au sérieux, à moins que cela n’affecte directement les hommes qui les entourent. »
Alors le communiqué de la RFEF n’a pas clos l’affaire. Le lendemain de sa publication, Jennifer Hermoso a déposé plainte auprès du parquet général de l’Etat espagnol. C’était la condition pour que le parquet, qui avait ouvert fin août une enquête préliminaire contre Luis Rubiales pour « agression sexuelle », puisse engager des poursuites.
Une étape indispensable pour que la « leçon d’égalité entre les hommes et les femmes » marque les esprits. #SeAcabó (“C’est fini !”) annoncent les féministes sur les réseaux sociaux. Ne rien laisser passer.
Et ce n’est pas tout. Les footballeuses se battent aussi pour les salaires. Jeudi 7 septembre, les joueuses de première division espagnole (Liga féminine) ont annoncé, qu’elles maintenaient leur préavis de grève pour les deux premières journées de championnat. Elles dénoncent des propositions salariales « inacceptables » et réclament des salaires « à la hauteur du talent » des joueuses, dont certaines championnes du monde espagnoles. Elles notent que les salaires proposés sont inférieurs à ceux des arbitres… Une nouvelle leçon d’égalité en perspective.
Ajout le 11 septembre : Dimanche 10 septembre Luis Rubiales a finalement annoncé sa démission mais il affirme que c’est avant tout pour protéger le football espagnol et nie toujours avoir agressé l’internationale Jenni Hermoso. Nancy Armour avait vu juste.