Les femmes de l’Economie Sociale et Solidaire veulent la parité et des présidences dans les gouvernances des organisations d’un secteur pourtant très féminisé. C’est un enjeu d’exemplarité et d’attractivité.
Contrairement à ce que sa dénomination pouvait laisser espérer, l’économie sociale et solidaire, n’est pas un ilot de parité dans une économie dominée par les hommes. Les écarts de salaires entre les hommes et les femmes sont de 12%, parmi les cadres il y a moitié moins de femmes que d’hommes, 37% des associations seulement sont présidées par des femmes, et peu de femmes sont présidentes de mutuelle. En présentant ces chiffres lors de la conférence organisée par les femmes de l’ESS le 30 novembre dernier, Benjamin Roger, Responsable de l’Observatoire national de l’ESS, a aussi rappelé que les salarié.es du secteur, gros employeur des métiers du soin, sont majoritairement des femmes. « Et plus les structures sont importantes, moins il y a de femmes à la direction, de même quand on monte dans les réseaux, régionaux ou fédéraux » a-t-il ajouté. Jérôme Saddier, Président d’ESS France confirme et regrette ce constat : « Dans l’ESS on ne devrait pas avoir cette question, L’ESS est plutôt en avance sur certains indicateurs, mais pas exemplaire ».
Défini par la Loi Hamon du 31 juillet 2014, le secteur de l’ESS regroupe des organisations « au but autre que le seul partage des bénéfices, dotées d’une gouvernance démocratique ». Une définition qui oblige à l’exemplarité en matière d’égalité et de justice. C’est pourquoi toutes les familles de l’ESS, associations, fondations, mutuelles, coopératives, SCOP, SCIC, Tiers-Lieux et les entreprises de l’ESS étaient réunies au Palais de la Femme, le 30 novembre, emmenées par leurs « ambassadrices » et le réseau 2GAP, bien décidées à faire bouger les lignes.
Matrimoine de l’ESS
Depuis 15 ans, des femmes de l’ESS se mobilisent pour que le secteur devienne exemplaire en matière de parité. Leur prochaine initiative : le « Matrimoine de l’ESS »
Il s’agira de mettre en lumière les grandes figures féminines invisibilisées et celles qui font l’ESS aujourd’hui. Une imposante recherche historique, menée par Scarlett Wilson Courvoisier, redonne la place qu’elles méritent à des femmes effacées de l’histoire. Ce travail a pris la forme d’une exposition, des portraits numériques, et d’un livre à paraître en 2024. Parmi ces femmes, Blanche Perron, a fondé le Palais de la Femme au sein de l’Armée du Salut en France. Marie Moret, figure du Familistère de Guise, y a créé l’aide à la petite enfance. Marie France Basso a posé les bases de ce qui deviendra l’Assistance Sociale. Et bien sûr Marie Coutaz qui a organisé Emmaüs avec l’Abbé Pierre.
Les femmes qui font l’ESS aujourd’hui ont leur portrait sur le site d’ESS France. Citons : Laurence Lepetit, Directrice Générale de France Générosité, Anne-Cécile Mailfert, Présidente de la Fondation des femmes, Chantal Chomel, Ancienne vice-présidente du Crédit Coopératif, Marie-Laure Cuvelier, Secrétaire générale de France Tiers-Lieux et consultante en management de l’ESS, Maud Sarda, Cofondatrice de Label Emmaüs, une coopérative de vente en ligne, et bien d’autres.
Parité au sein des instances dirigeantes
Depuis qu’elles se mobilisent, les femmes de l’ESS ont obtenu d’instaurer la parité au sein du Conseil Supérieur de l’ESS (CSESS), instance présidée par le Secrétaire d’Etat ou le Ministre en charge du secteur.
Composé de représentants de toutes les familles du secteur, le CSESS donne un avis consultatif sur tous les projets de dispositions législatives et réglementaires du secteur et sur les projets de dispositions relatives à l’entrepreneuriat social.
Bientôt, ses commissions seront dotées de co-présidences mixtes. Cette évolution est une initiative de Fatima Bellaredj, Présidente de la commission égalité femmes-hommes du CSESS et Déléguée Générale de la CGSCOP. Soutenue par Jérôme Saddier, Président d’ESS France et portée par le Secrétariat d’Etat, cette évolution est plus qu’un symbole. Ces co-présidences devraient en effet orienter des politiques publiques vers des décisions qui réduisent les écarts observés, quitte, peut-être, à renforcer les obligations.
Développer les réseaux féminins dans l’ESS
Le soft power de ces réseaux a su démontrer son efficacité dans d’autres secteurs, pour mobiliser les responsables politiques et aboutir à des lois telles que la Loi Copé-Zimmermann, sur les quotas dans les Conseils d’Administration des entreprises, et la Loi Rixain, qui instaure des quotas dans les Comex des grandes entreprises.
Pascale Bracq, présidente de Sciences Po Femme et Société et co-fondatrice du réseau 2GAP, est affirmative sur le rôle des réseaux « 2GAP est une organisation de 37 réseaux fondateurs et 80 réseaux aujourd’hui » explique-t-elle. « Ce méta-réseau œuvre auprès des pouvoirs publics, cela a été le cas dans la loi Rixain, pour les mesures de parité dans la fonction publique. 2GAP est aussi un Laboratoire d’idées qui travaille actuellement sur l’amélioration de l’index Penicault » ajoute-elle.
Au sein de l’ESS, le réseau Mut’Elles, qui rassemble les femmes des mutuelles, a montré son efficacité. Dominique Joseph, sa Présidente raconte comment Mut’elles a structuré la montée des femmes dans les instances de gouvernances des mutuelles, « elles étaient 21% en 2015 dans les Conseil d’Administration, et sont aujourd’hui 45% ». « Mais il y a toujours trop peu de présidentes de mutuelles et pas de présidente de Fédération » regrette-elle.
Si la parité dans les organisations de l’ESS est d’abord une question de justice, le genre n’est pas neutre en matière de développement social au cœur des activités de l’ESS. « Care s’appuie sur les femmes pour son développement, et ce depuis 15 ans. Nous sommes arrivés à la conclusion que leur action apporte de meilleurs résultats » affirme Arielle de Rothschild, Présidente d’honneur de CARE France.
Les dirigeant de l’ESS semblent prêts à faire la révolution du secteur en matière de parité. Ils sont convaincus qu’elle apportera attractivité et efficacité. Faudra-il pour cela de nouvelles contraintes ? Un bon sujet de travail pour le futur CSESS paritaire.