Du 11 au 13 septembre à Tirana en Albanie, s’est tenu le premier Sommet des femmes afghanes. Alors que le régime des talibans poursuit l’effacement des femmes de la sphère publique, les participantes à cette réunion dénoncent l’inertie de la communauté internationale. Les féministes du monde entier appellent leurs gouvernements à prendre position.

« Si les femmes participaient correctement aux affaires politiques, elles résoudraient mieux les problèmes liés aux sociétés humaines. », écrit sur X Anisa Pashai, cheffe de la Rahyab Youth Organization Journalist, militante des droits de l’homme et des droits des minorités ethniques, religieuses et linguistiques en Afghanistan. Cette dernière fait partie des 140 femmes à avoir participé au premier Sommet des femmes afghanes organisé à Tirana en Albanie du 11 au 13 septembre. Ensemble, ces femmes soumettent des mesures pour un Afghanistan libre et dénoncent à l’unisson l’oppression des femmes par le régime des talibans.
Les Afghanes unies contre l’oppression des talibans
Depuis leur retour au pouvoir le 15 août 2021, les talibans imposent une interprétation stricte de la charia en Afghanistan. Cela se traduit notamment par un recul extrême des droits des femmes allant jusqu’à l’effacement total de ces dernières de la sphère publique. En trois ans, plus de 1,4 millions de filles ont dû abandonner leurs études passé l’âge de 12 ans selon l’ONU. Depuis le mois d’avril 2023, les femmes n’ont plus le droit de travailler pour les organes des Nations Unies en Afghanistan. Dernière attaque à l’encontre des droits des femmes en date : l’interdiction pour les Afghanes de chanter, de réciter de la poésie et de lire à voix haute en public. (Pour en savoir plus, lire : « Les talibans anéantissent les droits des Afghanes et bannissent leur voix« )
Loin d’être passives, les Afghanes résistent. Suite à l’annonce de cette nouvelle loi, des dizaines de femmes ont décidé de braver l’interdiction et de chanter face caméra puis de diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux. Mais la mobilisation ne s’organise pas seulement en ligne. Depuis deux ans, ces femmes travaillent à l’organisation de ce Sommet des femmes afghanes. Femmes politiques, journalistes, activistes, femmes d’affaires et artistes… des femmes de tous horizons étaient présentes pour mener ce combat d’une même voix.
Si plusieurs participantes, réfugiées en Iran, au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ont pu se rendre à l’évènement, certaines, résidant encore en Afghanistan, ont été empêchées de voyager, et d’autres ont été débarquées des vols depuis le Pakistan ou arrêtées aux frontières.
Exclues de la sphère publique et politique, les femmes n’ont plus voix au chapitre… Ou, du moins, c’est le projet des talibans. Ce sommet est une manière pour les Afghanes de reprendre la parole qui leur a été arrachée, de faire pression sur ce régime fondamentaliste et d’appeler la communauté internationale à se joindre à leur combat.
Interpeller la communauté internationale
À l’issue de ces trois jours de discussion, les participantes au Sommet des femmes afghanes dressent un sombre bilan de la situation actuelle en Afghanistan. D’abord, la recrudescence du terrorisme dans le pays et la percussion de groupes ethniques, de communautés religieuses et de groupes marginalisés. Elles alertent également sur la crise humanitaire en cours puisque « l’insécurité alimentaire, la malnutrition et un accès limité aux services essentiels » s’aggravent de jour en jour. Enfin, les participantes dénoncent « une forme d’apartheid et de persécution fondée sur le sexe. »
Reconnaître l’apartheid des sexes comme un crime contre l’humanité
Dans leur communiqué, elles martèlent la nécessité d’une mobilisation de la communauté internationale : « Sans une action rapide et solide de la part de la communauté internationale, l’Afghanistan risque de s’enfoncer davantage dans l’instabilité.». Elles ajoutent : « L’une des principales lacunes est l’absence de reconnaissance juridique de l’apartheid fondé sur le sexe dans le droit international. Malgré l’oppression sévère et systématique des femmes en Afghanistan, il n’existe aucune désignation juridique spécifique. L’absence de volonté politique des États membres des Nations unies de reconnaître l’apartheid des sexes comme un crime contre l’humanité reste un obstacle important à la lutte contre la discrimination fondée sur le sexe à la lutte contre la discrimination fondée sur le sexe. »
En juin 2024, à Doha, l’ONU avait accédé à la demande des talibans qu’aucun membre de la société civile ne soit présent, dont les femmes. Une décision largement critiquée puisque les féministes appellent « la communauté internationale à ne pas reconnaître le régime taliban au pouvoir comme le gouvernement légitime de l’Afghanistan, à moins qu’il ne soit mis fin à toutes les restrictions et interdictions qui pèsent actuellement sur les femmes et les filles, et que les femmes et les filles afghanes aient la possibilité de participer au développement du pays sur les plans politique, économique et social. » (À lire : « Les talibans obtiennent l’exclusion des femmes d’une réunion de l’ONU« )
Présente lors du Sommet des femmes afghanes, Seema Ghani, ancienne ministre du gouvernement de l’ancien président Hamid Karzaï et qui a fait le choix de rester en Afghanistan afin d’y mener des actions humanitaires, insiste : « Le monde passe à autre chose, mais nous sommes ici, toutes ensembles, pour essayer de faire en sorte que nous ne soyons pas oubliées. », rapporte The Guardian.
Les féministes mobilisées
Les Afghanes ont l’impression d’être abandonnées de toutes parts. Le 11 septembre, la combattante de taekwondo afghane Marzieh Hamidi, réfugiée en France depuis 2021, se confiait dans l’émission Points de vue du Figaro quant à la vague de cyber-harcèlement dont elle est victime suite à ses prises de parole à l’encontre du régime des talibans lors des Jeux Olympiques. Le 16 septembre, une enquête a été ouverte suite à sa plainte et la sportive a été placée sous protection policière. Dans cette même interview, Marzieh Hamidi déplore « l’absence totale de soutien des féministes en France ». Cependant, le véritable pouvoir n’est pas entre les mains des féministes mais bien de la diplomatie internationale… Sur laquelle les féministes tentent de faire pression.
Le Front féministe international a lancé une pétition le 12 septembre pour que les gouvernements des sept pays (Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, États-Unis, France et Italie) dont sont issues les 413 associations membres du FFI entament une procédure contre les talibans devant la Cour pénale internationale. En vertu de l’article 7 du statut de Rome – signé par l’Afghanistan en 2003 – créant la Cour pénale internationale, cette pétition dénonce « un crime contre l’humanité » et « un apartheid sexuel ». « Nous, femmes du monde entier, de tous horizons et de toutes professions, nous qui avons une voix, sommes choquées et crions : “Il faut soutenir les femmes et les filles d’Afghanistan“ », concluent-elles.
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit
Le Sommet des femmes afghanes aura permis de tirer la sonnette d’alarme et de faire grandir la mobilisation pour les droits des femmes afghanes. Et la communauté internationale semble l’avoir entendu puisque le Conseil de sécurité des Nations Unis se réunit ce mercredi 18 septembre afin discuter de l’Afghanistan, en présence de Rosa Otanbayeva, directrice générale de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), et de Sima Bahoush, directrice de l’ONU Femmes, qui rendront compte de la situation en Afghanistan.
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