Les femmes prononcent 20 000 mots par jour, les hommes 7 000 ? Ces chiffres font une nouvelle apparition médiatique au détour du sujet « les Français nuls en orthographe ». Ils sont pourtant totalement imaginaires. Décryptage.
Difficile depuis deux jours d’échapper à cette information : le niveau des Français.e.s en orthographe aurait baissé ces dernières années. C’est le constat du « baromètre Voltaire », étude menée par un site internet d’entraînement en orthographe, qui a ainsi parfaitement réussi sa campagne de communication.
Selon ce « baromètre », 51% des personnes maîtrisaient 84 règles d’orthographe (et/ou de grammaire, d’ailleurs) de base en 2010, et en 2015 ils ne sont plus que 45%. Avec une différence relativement significative entre femmes et hommes : elles sont 48%, eux 43%, à maîtriser le français.
Attention toutefois à ne pas donner trop de crédit à cette étude. Car son échantillon n’a rien de représentatif : il ne s’agit pas des « Français », mais d’utilisateurs du site ayant passé des tests du « projet Voltaire ». Et gloser sur l’évolution du niveau en 5 ans est tout aussi hasardeux, car les échantillons n’ont rien à voir entre 2010 et 2015. En 2010, la population étudiée était de 1 679 hommes et 2 019 femmes ; en 2015, de 32 295 hommes et 36 666 femmes.
Propagation d’un mythe
Si ces chiffres sont donc à prendre avec des pincettes, d’autres sont tout à fait fantaisistes. Sur France Info, Pascal Hostachy, co-fondateur du projet Voltaire, évoque ainsi « plusieurs raisons » aux meilleurs résultats des femmes : « elles lisent, elles font des métiers plus littéraires et elles parlent plus que les hommes. En moyenne, une femme prononce 20 000 mots par jour, contre 7 000 pour un homme. » Il répète ce dernier argument sur 20Minutes.fr : « Les femmes parlent plus que les hommes : elles prononceraient quasiment trois fois plus de mots par jour ! Cela les expose alors forcément plus qu’eux au langage et à ses subtilités. »
Les femmes parlent trois fois plus que les hommes, 20 000 mots contre 7 000 ? Non. Cette statistique est totalement infondée. France Info, heureusement, y revient d’ailleurs pour la démonter. En la faisant remonter au livre à succès d’une psychiatre américaine, paru en 2006, intitulé « The Female Brain » (« Le Cerveau Féminin »). C’est le bandeau de couverture de la première édition qui « annonçait clairement les « 20 000 mots » contre « 7 000″ (…) sans les étayer dans la suite du texte ». Ce qui n’a pas empêché plusieurs médias de reprendre cette statistique bidon. Sa propagation, depuis, a été impossible à arrêter, même si, peu après, l’auteure regrettait d’avoir contribué à « propager un mythe ».
Pourtant, en 2007, une étude menée par Matthias Mehl, de l’université de l’Arizona, auprès de 210 étudiantes et 186 étudiants, ne relevait « aucune différence statistique. Les femmes employant en moyenne 16 215 mots par jour, les hommes 15 669 mots.
La même année, une méta-analyse menée par deux chercheuses de l’université de Californie, Campbell Leaper et Melanie Ayres, observait même, de façon statistiquement faible mais significative, que les hommes « ont tendance à être plus bavards que les femmes. »
Médias complices
Pourtant le mythe de « la femme trois fois plus bavarde » repartait de plus belle en 2013, quand une étude de chercheurs de l’université du Maryland montrait qu’une protéine liée à l’acquisition du langage était davantage présente dans le cerveau des filles que dans celui des garçons à 4 ans. Sans d’ailleurs conclure sur ce que cette différence a d’acquis ou d’inné, et bien sûr sans évoquer cette statistique farfelue des « 20 000 mots contre 7 000 ».
Et pourtant elle réapparaissait alors largement dans les médias, toujours prompts à commenter les supposées différences dans les cerveaux des hommes et des femmes. De nombreux sites, de celui du JDD (« Pourquoi les femmes sont plus bavardes », photo de femme bâillonnée à l’appui) à Slate.fr (avec le même titre), en profitaient pour y voir la preuve que les femmes parlent trois fois plus que les hommes. La palme de la désinformation allant à Atlantico.fr (« C’est prouvé : les femmes parlent (beaucoup) plus que les hommes »).
Osons donc l’affirmer : selon une étude, de nombreux journaux racontent parfois n’importe quoi.
Et rappelons cette statistique bien réelle : dans les médias, les femmes parlent 4 fois moins que les hommes.
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Photo : détail de « Blah, blah, blah » du studio Louise Campbell (Maison du Danemark). Par Jean-Pierre Dalbéra sur Flickr. Certains droits réservés