Une étude, largement médiatisée, met en avant des différences de connexions neuronales entre hommes et femmes et fait passer l’idée de différences innées. La neurobiologiste Catherine Vidal dénonce une approche partisane, qui passe sous silence la plasticité du cerveau.
C’est, selon la quasi-totalité des titres de presse qui s’en font l’écho, et ils sont nombreux, une étude scientifique qui vient « valider des stéréotypes » : les cerveaux des femmes et des hommes seraient, intrinsèquement, très différents. Et même « complémentaires ».
« Sex differences in the structural connectome of the human brain », c’est le titre de cette étude, menée par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie sur près de 1000 individus (521 femmes et 428 hommes) âgés de 8 à 22 ans, et publiée mardi 2 décembre dans lesComptes-rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS).
Ses résultats mettent en avant des schémas de connectivité neuronale différents, en moyenne, entre hommes et femmes. Dans leur échantillon, les connexions neuronales étaient en effet plus nombreuses entre les deux hémisphères qu’à l’intérieur de chaque hémisphère dans les cerveaux féminins, et c’était le contraire dans les cerveaux masculins. Cela, toujours, en moyenne. A noter aussi que la différence entre les sexes n’était pas statistiquement significative dans toutes les régions régions du cerveau.
Pour ses auteurs, les résultats suggèrent que « les cerveaux masculins sont structurés pour faciliter la connectivité entre la perception et l’action coordonnée, tandis que les cerveaux féminins sont conçus pour faciliter la communication entre des processus analytiques [dans l’hémisphère gauche] et intuitifs [dans l’hémisphère droit] ».
Des différences… et des évolutions
De quoi expliquer « pourquoi les hommes excellent dans certaines tâches et les femmes dans d’autres », selon Ragini Verma qui a dirigé ces travaux. Et la presse de reprendre en chœur l’analyse qu’en tire cette spécialiste en imagerie biomédicale : « Les hommes sont en moyenne plus aptes à apprendre et à exécuter une seule tâche, comme faire du vélo, du ski [voilà donc pourquoi on ne trouve pas de chaussures de ski pour expertes ! Ndlr] ou la navigation. Les femmes ont en revanche une mémoire supérieure et une plus grande intelligence sociale qui les rendent plus aptes à exécuter de multiples tâches et à trouver des solutions pour le groupe ».
Mais alors que « complémentarité » et « différences » sont mises en avant, les évocations de cette étude passent sous silence un point important : elle montre aussi que dans l’enfance les différences sont insignifiantes. Les auteurs ont en effet observé peu de différences de connectivité cérébrale entre les sexes dans un premier groupe d’âge, composé d’enfants de 8 à 13 ans. Des différences plus prononcées dans le deuxième groupe, adolescent (13-17 ans), et plus encore dans le troisième groupe (17 à 22 ans). Les auteurs observent donc une « progression des différences sexuées ».
La plasticité au placard
Mais leur analyse apparaît alors partiale. Pour eux, cela prouve que le cerveau est « conçu », « structuré », pour évoluer ainsi. Comme si les différences entre sexes étaient naturelles. Mais ils passent totalement sous silence une autre hypothèse : le fait que ces évolutions soient influencées par l’environnement. A aucun moment ils ne font référence à cette plasticité du cerveau, pourtant reconnue.
Ainsi que l’explique la neurobiologiste Catherine Vidal (comme ici dans Le Monde), 90% des connexions neuronales se construisent après la naissance, à partir du moment où l’enfant est en interaction avec son environnement.
Effarée par l’écho médiatique de cette étude, Catherine Vidal souligne que ses auteurs sont « partisans » et passent volontairement sous silence la question de la plasticité. Plusieurs d’entre eux ont orienté depuis des années leurs travaux sur les différences entre hommes et femmes : « pas étonnant qu’ils trouvent ce qu’ils cherchent », explique Catherine Vidal aux Nouvelles NEWS, observant qu’ils ne font référence, dans cette étude, « qu’aux travaux qui vont dans leur sens ».
Les risques de détournement
D’autres scientifiques, interrogés par la BBC, mettent en garde contre les risques d’interprétation abusive de cette étude. « Des approches mathématique sophistiquées sont fréquemment utilisées pour analyser et décrire les réseaux du cerveau. Ces méthodes peuvent être utiles pour identifier des différences entre des groupes, mais il est souvent périlleux d’interpréter ces différences en termes biologiques », souligne Heidi Johansen-Berg, experte en neurosciences à l’université d’Oxford.
Mise à jour, jeudi 5 décembre : Dans La Libre Belgique, le neurologue Jean-Christophe Bier se dit « pas du tout convaincu par l’hypothèse des chercheurs américains », déplorant lui aussi qu’ils concluent sans ambages que c’est le genre qui définit les connexions. « Je penche plutôt pour l’éducation et le contexte, que pour les hormones, comme responsables des changements » observés à l’adolescence, souligne-t-il. En Australie, Cordelia Fine dénonce elle aussi une étude « neurosexiste », en se qu’elle se focalise sur les différences sexuées en évacuant toute interrogation sur les influences sociales.
« L’aspect le plus inconfortable de résultats de ce genre est qu’ils peuvent être – et ils le sont souvent – détournés pour renforcer des stéréotypes et des préjugés. Des études comme celle-ci offrent alors du grain à moudre à ceux qui cherchent à justifier la sous-représentation des femmes dans des champs comme l’ingénierie », fait remarquer Olga Khazan en évoquant cette étude dans The Atlantic.
Pour contrer les interprétations fallacieuses, on peut sortir de son chapeau l’enquête PISA de l’OCDE qui montre que, dans tous les pays, le niveau des filles en mathématiques, à 15 ans, n’est pas significativement inférieur à celui des garçons. Des résultats scolaires qui donnent « à penser que les points forts et les points faibles des uns et des autres dans certaines matières ne sont pas innés, mais qu’ils s’acquièrent par le travail, et qu’ils sont souvent renforcés par des valeurs sociales. »
La mauvaise foi de certaines études scientifiques et les erreurs de leur traitement médiatique, nous les évoquons régulièrement dans Les Nouvelles NEWS. Voir ces deux récents exemples :
Les filles, les garçons et l’humour : le cerveau a bon dos
Ou encore
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