L’INA a analysé 700.000 heures de programme : ils parlent plus de deux fois plus qu’elles. A elles l’émotion, à eux le sérieux.

De 5 heures à minuit à la radio, les hommes occupent 68,8 % de l’espace vocal et les femmes 31,2 %. A la télévision, de 10 heures à minuit, 67,3 % pour eux et 32,7 % pour elles. L’INA a mis l’intelligence artificielle au service de la mesure du temps de parole des femmes et des hommes et les résultats obtenus confirment et affinent ceux qu’observaient déjà le Global Media Monitoring Project (GMMP), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou encore différentes études de l’INA sur les matinales radio par exemple.
Et pourtant, ce qui pourrait être visible à l’œil nu n’est manifestement toujours pas vu par les décideurs. David Doukhan, l’auteur du programme, raconte : « Lorsque j’ai été amené à présenter mes travaux dans des congrès scientifiques, j’ai à de nombreuses reprises rencontré des hommes qui m’ont déclaré « Les femmes parlent trop » lorsque je leur ai décrit ma thématique de recherche. Ces mêmes hommes ont été les premiers surpris lorsqu’ils ont découvert les conclusions des analyses présentées dans cette étude. »
L’intelligence artificielle de l’INA a passé au crible 700 000 heures de programmes chaîne par chaîne, de 2001 à 2018. 22 chaînes de télévision et 21 stations de radio étaient dans le panel.
Résultat : « Quelle que soit la chaîne considérée, le taux d’expression des femmes est inférieur à 50 % » y compris sur les chaînes dites « féminines » comme Téva où les femmes ont le temps de parole maximal. Les plus faibles taux d’expression des femmes se trouvent sur les chaînes sportives : 7,4 % pour Eurosport et 16,5 % pour La chaîne L’Équipe.
Pas terrible non plus pour les chaînes à programmation culturelle ou éducative comme Histoire, Arte ou France 5. Et sur les chaînes à contenu généraliste, c’est sur M6 (40,9 %) et sur TF1 (36,1 %) que les femmes s’expriment le plus, dans les émissions de téléréalité et à contenus proches du courrier du cœur. Tandis que sur Canal+, qui a un fort contenu sportif, elles sont discrètes.
En revanche, sur les chaînes d’information en continu, le taux d’expression des femmes est assez élevé. 44,8 % pour France 24, la chaîne internationale. Ces chaînes comptent beaucoup de présentatrices et de femmes journalistes « France 24 contribue ainsi à véhiculer l’image faussée d’un pays où la répartition du temps de parole entre hommes et femmes est relativement équitable… » remarque David Doukhan.
A la radio, même topo. La seule radio où les femmes parlent un peu plus que les hommes est Chérie FM qui, comme son nom l’indique, se concentre davantage sur les peines de cœur que sur la géopolitique internationale. Et 80 % de la programmation de cette radio est musicale. Autant dire que le volume de voix féminines sur les ondes radios est assez faible
Dans les radios « de parole » (par opposition aux musicales) le taux d’expression des femmes maximal est de 33,2 % sur Radio France International, et minimal sur RMC (16,9 %), une station diffusant beaucoup de contenu sportif. Les radios à plus forte audience comme France Inter se situent plus près de RFI que de RMC mais ce n’est pas glorieux.
Parler oui, mais dans le vide
Le temps de parole des femmes parait inversement proportionnel au taux d’audience. Lorsque l’INA regarde les heures de forte audience comme le créneau 6 h – 9 h à la radio et 19 h – 22 h à la télévision, il apparaît qu’à ces moments, le taux d’expression des femmes baisse en moyenne de 3,2 %. Et plus il y a de monde devant son poste plus le temps de parole des femmes chute. France 2 accuse la plus forte baisse (-10 %). Et les chaines privées font pire : « Sur le créneau prime time (19 h -20 h), le taux d’expression des femmes est de 37,7 % sur les chaînes publiques contre 24,6 % sur les chaînes privées. » dit l’étude.
En région, l’observation des 24 éditions régionales de France 3 fait apparaître que l’Alsace et le Nord-Pas-de-Calais affichent un temps de parole des femmes supérieur à celui des hommes tandis qu’en Lorraine, Midi-Pyrénées, Auvergne et Aquitaine, il est inférieur à un tiers.
Forte progression
Cependant, l’étude observe une progression : à la radio, le taux médian d’expression des femmes est passé de 25,1 % en 2001 à 34,4 % en 2018, soit 9,3 % soit 0,5 % par an. Les meilleures élèves sont les stations publiques France Musique (+17,1 %), France Culture (+9,6 %), France Inter (+8,8 %) mais aussi Europe 1 (+17 %), RTL2 (+13,1 %), Sud Radio (+10,9 %), Fun Radio (+10,7 %), Nostalgie (+10 %). Bonnet d’âne en revanche pour RMC (-7,7 %), Radio Classique (-5,8 %) ou encore Skyrock (-2,1 %).
A la télévision, l’augmentation est plus faible mais on part de plus haut : de 30,4 % en 2010 à 35,1 % en 2018 soit une petite augmentation de 4,7 %. Là encore, le service public a fait des efforts notamment France 5 (+9,3 %) et France 2 (+8,8 %). Mais c’est sur la chaîne sportive L’Équipe (-10,1 %) et sur CNews (-8 %) que les baisses sont les plus fortes.