Dénoncer est nécessaire, mais souvent impossible. Il faut arrêter de poser des questions qui accusent les femmes de tous les maux.
La parole se libère, fini l’omerta, c’est le début de la fin du harcèlement sexuel, peut-on lire ici ou là depuis l’affaire Weinstein et l’appel #BalanceTonPorc. On voudrait le croire.
Point positif : le sujet est enfin considéré comme un problème grave par ceux qui le balayaient d’un revers de main jusqu’ici. Au point que Bruno Le Maire, après avoir dit une énormité, a rétropédalé en urgence. Mais, comme lors de l’affaire DSK, si le couvercle s’est entrouvert, le problème est loin d’être réglé.
Parce qu’on a aussi beaucoup lu ou entendu ce genre de remarques : « Mais pourquoi n’ont-elles pas parlé avant ? », « Pourquoi ne portent-elles pas plainte ? ». Souvent les questions sont posées de bonne foi. Et la réponse pas assez connue : c’est parce que les agresseurs sont des hommes de pouvoir qui peuvent leur faire perdre leur travail. Ils trouveront toujours des alliés pour traiter leurs victimes de menteuses ou les réduire au silence. Ils peuvent même les faire condamner pour dénonciation calomnieuse (même si c’est moins automatique depuis une décision de la CEDH). Dans les procès « parole contre parole », la parole des puissants l’emporte toujours. Le doute bruyamment exprimé par les défenseurs de l’agresseur bénéficie à l’accusé.
Pourquoi ne sait-on pas encore lever ce doute ? Pourquoi poser plus de questions sur la victime que sur son agresseur ? Pourquoi parler de la tenue vestimentaire des victimes de viol dans les commissariats, dans les tribunaux, dans les journaux ? Pourquoi ne pas parler davantage du comportement de l’agresseur en général, de son pouvoir sur la victime, des réseaux qui le protègent ?
Sur une autre affaire, pourquoi un journal pose-t-il des questions sur ses états d’âme à Bertrand Cantat ? Et ce journal a le culot, en guise d’excuses, de venir dire qu’il veut « déconstruire la domination masculine » quand il en consolide les fondations !
Une question en dit souvent plus sur la société qui la pose que sur la personne qui y répond. Une question demande souvent à un présumé coupable de se justifier.
Dans les rues de Saint-Brieuc, une affiche demande si la maire à « baisé » pour en arriver là. Question souvent posée à propos des femmes de pouvoir, présumées coupables d’incompétence.
Pourquoi les investisseurs parlent-ils davantage de projet et perspectives avec les hommes et de risques avec les femmes (Voir : Les questions qui tuent l’entrepreneuriat féminin ) ? Présumées coupables d’échec. Parlons réussite !
Pourquoi demande-t-on si souvent aux sportives comment elles font pour préserver leur féminité ? Présumées coupables de ne pas être de « vraies » femmes. Parlons de leurs performances sportives !
Pourquoi, dans les interviews de femmes managers, se pose souvent la question de la conciliation vie privée / vie professionnelle, et celle de leur tenue vestimentaire ? Présumées coupables d’être mauvaises mères, mauvaises épouses. Parlons de leur business !
Arrêtons de demander aux femmes de se justifier. C’est un préalable pour «déconstruire la domination masculine.»
PS : Pardon pour cet enième plaidoyer pro domo mais, vous l’avez compris, pour avoir une parole forte dans le concert des médias, il faut des moyens. L’indépendance, la liberté d’opinion, la liberté de poser des questions ont un coût. Et seuls vos abonnements peuvent nous permettre de fabriquer Les Nouvelles NEWS. Nous comptons sur vous. Abonnez-vous.