Entre les féministes de circonstance qui cherchent un prétexte pour rejeter les immigrés et les humanistes qui cherchent à éviter le racisme, les droits des femmes ont du mal à se frayer un chemin.
Pas facile d’évoquer un sujet largement récupéré par l’extrême droite qui y trouve un argument contre l’accueil des réfugiés. Le peu de faits établis indiquent que les agressions sexuelles commises à Cologne – et de façon moins massive dans plusieurs autres villes d’Allemagne – la nuit du Nouvel An étaient organisées. Dans la gare de Cologne des dizaines (des centaines ?) d’hommes ont commis des attouchements ou agressions à caractère sexuel et/ou insulté des centaines de femmes. Dimanche 10 janvier, la police faisait état de 516 plaintes, dont 40% pour agression sexuelle, et 2 pour viols. Ralf Jäger, ministre de l’intérieur de l’Etat régional de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a évoqué l’identification de 31 suspects dont 22 demandeurs d’asile de plusieurs nationalités.
Certains médias n’auront pas attendu l’enquête pour gonfler un phénomène déjà sinistre en transformant par exemple le terme « d’agressions sexuelles » en « viols ». Valeurs Actuelles titrait le 6 janvier : « Emotion en Allemagne après une série de viols dans la nuit du Nouvel An ». Certains savent se dire féministes quand ça les arrange.
D’autres féministes de circonstance sont montés au créneau. Dès le 5 janvier, Marion Maréchal-Le Pen, avant même les premières arrestations, se basant seulement sur les policiers évoquant « des jeunes hommes apparemment d’origine arabe ou nord-africaine », parlait d’agressions commises par des « migrants ». Quelques jours après Marine Le Pen, la présidente du FN s’est fendu d’un tweet : « L’effroi suite aux agressions de Cologne : la dignité et la liberté de la Femme, un acquis précieux que nous avons le devoir de protéger ». Le FN défend les Droits des femmes ? Avant les élections régionales, Marion Maréchal-Le Pen voulait notamment couper les subventions du Planning Familial et nous rappelions d’autres dossiers…
« Où sont passées les féministes? »
Plus insidieux : « la sécurité des femmes européennes n’est plus assurée », écrit Mathieu Bock-Côté dans une tribune intitulée « Cologne : où sont passées les féministes ? » publiée sur le site internet du Figaro. « Plus » assurée : comme si, jusque-là, les femmes européennes pouvaient aller et venir librement dans les rues à n’importe quelle heure sans risquer d’agression sexuelle… Le sociologue, qui ne doit pas bien tendre l’oreille, s’étonne d’avoir si peu entendu les féministes à ce sujet, leur reprochant (tout autant aux médias qu’à la police) de « filtrer les mauvaises nouvelles idéologiques qui peuvent compromettre la légende du vivre-ensemble diversitaire ».
Les féministes, pourtant, sont présentes. En Allemagne, plusieurs manifestations ont été organisées devant la gare de Cologne depuis le Nouvel An. Pas seulement les bruyantes manifestations d’extrême droite, destinées à taper sur les réfugiés/migrants sous couvert d’une – improbable – défense des droits des femmes. Il y a eu aussi celles et ceux qui veulent que la vérité soit faite, que l’enquête aboutisse.
En France, elles n’ont pas, comme Mathieu Bock-Côté, de grandes tribunes offertes par des journaux à forte diffusion. Elles sont pourtant nombreuses à dénoncer depuis longtemps la « culture du viol » qui transforme les victimes en coupables et vice versa, une culture qu’ont entretenue plusieurs responsables politiques allemands en recommandant aux femmes de prendre des précautions.
Contradictions
En Allemagne, un collectif féministe s’est engagé dans le débat, lundi 11 janvier, autour du mot d’ordre #ausnahmslos – « aucune excuse » (à voir en allemand ou en anglais). Ces personnalités anti-racistes et féministes – dont certaines étaient à l’origine deux ans plus tôt du mouvement #aufschrei contre le sexisme ordinaire – dénoncent autant les agressions de Cologne que leur récupération par des extrêmistes. Pour ce collectif, qui rappelle l’omniprésence de la violence sexuelle sur l’ensemble du continent européen, « il est malsain de dénoncer les violences sexuelles uniquement quand les auteurs sont ‘les autres' ». Et de réclamer une série de mesures, politiques comme sociétales (le sexisme des médias n’est pas oublié), pour lutter efficacement contre ce fléau.
En France, Osez le féminisme publiait le même jour une tribune aux accents similaires, intitulée « Pour chaque femme violée, notre indignation est totale ». Qui se conclut par ces mots : « L’origine des agresseurs ne doit pas être un frein à la dénonciation de ces agressions, mais nous condamnons aussi toute forme de récupération raciste de cet événement, qui nuit aux femmes victimes de viol, et nuit aux droits des femmes en général. »
[Mise à jour, 13 janvier : Clémentine Autain dénonce également dans une tribune la propension de la droite extrême à « instrumentaliser ces actes odieux à des fins racistes et sécuritaires »]
Quelques heures plus tôt, une autre tribune féministe, titrée « Silence, on viole », s’inquiétait d’un phénomène de « déni et minimisation » par crainte de « faire le jeu de l’extrême droite » et réclamait « des engagements et des condamnations (…) fermes et unanimes de la part de ces mêmes associations et personnalités, féministes, de gauche, antiracistes ».
[Mise à jour, 13 janvier : réaction similaire de l’Alliance des femmes pour la démocratie. « A l’heure où elle affronte la guerre terroriste sur son propre sol, une Europe qui garderait le silence sur la montée des violences contre les femmes, et cesserait de promouvoir et de faire respecter leurs droits, trahirait son modèle qui inspire les démocrates du monde entier », écrit dans un communiqué l’association fondée par Antoinette Fouque.]
Valérie Toranian, dans La Revue des deux Mondes analyse « les contradictions qui minent le mouvement féministe, et au-delà tous les humanistes antiracistes prompts à dénoncer l’islamophobie ».
Dix jours après ces agressions massives, une chose est sûre : le silence n’est plus de mise. Mais le malaise persiste, en Allemagne et ailleurs.