La chercheuse qui a découvert la trisomie 21 vient de mourir. Les journaux et les scientifiques, qui l’ont longtemps ignorée -effet Matilda-, lui ont rendu hommage. Mais la fondation Jérôme Lejeune continue de s’accaparer son travail.
Marthe Gautier s’est éteinte le 30 avril dernier à l’âge de 96 ans. Et de nombreux journaux lui ont rendu hommage en France. Pourtant, la scientifique qui a découvert l’anomalie génétique à l’origine de la trisomie 21, a bien failli ne jamais passer à la postérité. « Dé-goû-tée » ! Elle se disait dégoutée dans un reportage sur « Les effacées de l’Histoire », diffusé dans « Complément d’enquête » le 10 juin 2021.
La chercheuse a été victime de « l’effet Matilda » -qui consiste à attribuer à des hommes des théories élaborées par des femmes-. Elle a longtemps été effacée de l’Histoire au profit du controversé Jérôme Lejeune, qui a fait sienne sa découverte à elle.
Pour le collectif Georgette Sand, L’histoire de Marthe Gautier « est un cas d’école d’invisibilisation que nous racontons à chacune de nos interventions scolaires. »
Le magazine La recherche, en 2009, était revenu sur cette histoire d’invisibilisation racontée par Marthe Gautier : « sans aide, je vais monter le premier laboratoire de culture cellulaire de France et réaliser les préparations qui permettront de visualiser le chromosome surnuméraire à l’origine du mongolisme » raconte-elle. La jeune scientifique, qui vient de la campagne a été prévenue par sa sœur ainée qui, en 1942, termine ses études de médecine dans Paris occupé : « une femme, pour réussir en médecine, doit travailler deux fois plus qu’un homme ; venant de notre campagne, n’ayant aucune relation, nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes. » Cette grande sœur sera tuée au moment de la débâcle allemande en août 1944 mais Marthe Gautier poursuivra son œuvre.
En 1955, elle soutient une thèse sous la direction de Robert Debré qui lui propose une bourse d’études d’un an à l’université Harvard, aux États-Unis. De retour en France, elle va proposer de créer un laboratoire capable de faire des cultures cellulaires pour connaître les chromosomes des mongoliens. Elle découvre le 47ème chromosome responsable du mongolisme mais il lui manque un microscope optique doté d’un appareil photo pour prendre un cliché des chromosomes et l’agrandir. Jérôme Lejeune proposera de faire ce travail et en profitera pour s’attribuer la paternité de la découverte et « se présentera dès lors sur la scène scientifique internationale comme le découvreur de la première trisomie humaine » dénonce Marthe Gautier qui, dépitée, ira en clinique s’occuper d’enfants cardiaques tandis que Jérôme Lejeune continuera de prendre la lumière.
Le médecin catholique mènera la croisade contre le droit à l’avortement. Il meurt en 1994. Mais en 2007, lorsque l’Eglise envisage de le canoniser, Marthe Gautier sort de son silence et bataille pour que la vérité soit rétablie. En 2014, la Fédération française de génétique humaine lui décerne son grand prix. Mais la Fondation Jérôme Lejeune fait en sorte d’annuler son discours. Le comité d’éthique de l’Inserm finira par déclarer que la part de Jérôme Lejeune dans la découverte a « peu de chance d’avoir été prépondérante » et rétablit la vérité.
A sa mort, la grande scientifique, qui était restée invisible une bonne partie de sa vie, a été saluée par de nombreux hommages dans la presse. Seule la Fondation Jérôme Lejeune a piteusement évoqué la mémoire de celle qu’elle présente comme « collaboratrice de Jérôme Lejeune et co-signataire de la publication de la découverte de la trisomie 21. »