Le réalisateur, qui avait agressé sexuellement l’actrice mineure, a été condamné. Les féministes disent merci à Adèle Haenel qui a mené le combat à coup de « ferme ta gueule ! »
Lorsqu’elle est sortie de la salle d’audience du tribunal judiciaire de Paris, les premiers mots d’Adèle Haenel ont été pour les féministes venues la soutenir. Elle a voulu les remercier de « faire avancer les droits humains ». Et depuis l’annonce du verdict, ses « sœurs de lutte » n’en finissent pas, à leur tour, de la remercier.
Lundi 3 février, le réalisateur Christophe Ruggia a été reconnu coupable d’agression sexuelle sur Adèle Haenel. Il a été condamné à quatre ans de prison, dont deux fermes sous bracelet électronique. En outre, il doit indemniser sa victime à hauteur de 50.000 euros pour préjudice moral et suivi psychologique. Ça peut paraître peu. Et Christophe Ruggia a décidé de faire appel.
L’omerta est brisée
Mais cette condamnation marque un tournant. La mécanique de l’omerta sur les violences sexuelles est enrayée. Le réalisateur de 60 ans était accusé d’avoir agressé sexuellement Adèle Haenel quand elle était mineure. Il la faisait venir à son domicile. Dans ses films, il lui faisait tourner des scènes très suggestives alors qu’elle n’avait que 12 ans. C’était au début des années 2000.
En 2019, Adèle Haenel avait répondu à une longue interview de Médiapart soulignant la responsabilité collective des agressions sexuelles dans le milieu du cinéma.
Lire : Adèle Haenel s’attaque à la responsabilité collective dans les agressions sexuelles
Mais les tentatives pour remettre le couvercle sur sa parole avaient été nombreuses.
Lire : Bataille de presse autour d’Adèle Haenel
Puis il y a eu #MeToo et petit à petit, les digues de l’omerta ont fini par céder. Mais il a fallu mener bien des combats.
La victoire et la manière !
Les féministes applaudissent la victoire enregistrée au tribunal par Adèle Haenel, et, surtout, la manière ! Adèle Haenel ne s’est pas mise dans la posture autorisée aux femmes pour avoir une chance d’être entendue. Elle n’a pas joué la poupée de chiffon fragile, et tout en retenue, qui suscite de la pitié.
Au contraire, elle a dénoncé avec férocité et énergie ces hommes qui font du mal aux femmes. A grand coup de « mais ferme ta gueule ! », elle a laissé exploser sa colère lors du procès en décembre dernier.
En 2020, elle sortait de la cérémonie des César en criant « la honte » alors qu’un film de Polanski était récompensé.
Lire : César : et à la fin, ils triomphèrent.
Avant de porter plainte contre le réalisateur, elle avait aussi dénoncé le système judiciaire. « La justice nous ignore, on ignore la justice. » avait-elle déclaré dans Médiapart.
De la honte à la colère
Cette rage a souvent été saluée par les féministes. Sur Instagram, l’écrivaine et journaliste Fiona Schmidt écrit : « Mais le fait que la justice ait malgré tout, donné raison à une femme qui n’a jamais fait le moindre effort pour rendre sa rage plus politiquement correcte, plus féminine, -plus « digne » comme on dit des femmes qui ont appris à encaisser sans ciller – m’incite à l’optimisme. Car symboliquement, ce verdict ouvre de nouvelles voies, parce qu’il légitime des voix que l’on n’entendait pas jusqu’alors – ni dans les tribunaux, ni ailleurs ».
Adèle Haenel a-t-elle définitivement rendu possible la colère des femmes ? Les normes sociales de genre nous habituent à considérer que la colère est une vertu pour un homme -qui montre ainsi son caractère- et une honte pour une femme – qui passe pour une hystérique. C’est un sujet central dans la littérature féministe et dans les combats des femmes. La honte conduit à se recroqueviller, à se faire oublier. La colère rend optimiste. En l’exprimant, on peut changer les choses.
Lire : Pourquoi les femmes doivent se mettre en colère
Cette colère de femme a encore un coût. « On a perdu Adèle Haenel » a dit François Cluzet sur FranceInter (vers 1h09). Interrogé sur la décision de l’académie des Cesar d’exclure des votant.es tous les membres mis en cause par la justice pour des faits de violence sexuelle, l’acteur a été clair et net. Il ne sépare en aucun cas l’homme de l’artiste. A cause de l’omerta dans le milieu du cinéma, « on a perdu une de nos plus grandes artistes, c’est très dommage » a-t-il déclaré.
Lire aussi dans Les Nouvelles News
César 2025 : où sont les réalisatrices ?
« Le Dernier Tango à Paris » programmé, les féministes interpellent la Cinémathèque
« Je parle mais je ne vous entends pas » : Judith Godrèche sur la scène des César
Des « César » encore plus masculins
Polanski président : le mauvais scénario des César
Tribunal médiatique, l’homme/ l’œuvre, Polanski, Haenel… questionnons les questions