Après avoir été une « dame de fer », Angela Merkel, est aujourd’hui présentée comme une « mère bienveillante ». Deux qualificatifs incontournables pour les dirigeantes. De Margaret Thatcher à Angela Merkel en passant par Aminata Touré ou Erna Solberg les observateurs ne voient pas d’autres alternatives pour une femme…
Au lendemain du triomphe d’Angela Merkel, réélue pour la troisième fois à la chancellerie allemande, c’est le surnom « mère de la nation » qui se répand dans la presse.
Déjà, à la veille de son élection, Le Monde affirmait dans un article titré « Angela Merkel : la mère patrie » que « telle une mère de famille, Angela Merkel protège et rassure ses compatriotes. Les rend fiers aussi. » La Croix expliquait de son côté comment la chancelière soigne son image de « mère de la nation ». « Quand elle lève le voile sur sa vie privée, c’est pour parler jardinage et popote. »
Dame de fer contre mère de la nation
Aujourd’hui présentée comme la « Mutti » (« maman » en allemand) bienveillante, Angela Merkel avait pourtant longtemps été l’incarnation de l’austérité sur la scène internationale. En 2012, Forbes faisait d’elle « la ‘dame de fer ‘ de l’Europe et l’actrice principale du drame économique de l’eurozone qui continue de menacer les marchés ».
Mais déjà une autre facette apparaissait. RFI écrivait alors à propos de la chancelière allemande : « Angela Merkel, la « mère protectrice » pour les Allemands, est en revanche décriée comme la « mère austérité » en Europe du Sud ».
Cette figure de mère protectrice n’est à vrai dire pas qu’une construction médiatique. Angela Merkel et son parti l’ont eux-mêmes façonnée. Ainsi, lors du dernier congrès de la CDU, en décembre 2012, la chancelière était « adulée par une formation où on l’appelle affectueusement ‘Mutti’ (‘Maman’) », commentait Le Figaro. Son « image de la mère de famille bienveillante », qu’observait Yann-Sven Rittelmeyer, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes, la chancelière l’a imprimée au fil de la campagne électorale. Le 6 septembre, France Info consacrait un article à ses différentes facettes dans lequel il était expliqué que « pour séduire les électeurs, Angela Merkel a déposé son masque de Dame de fer. » Elle a également dévoilé sa vie privée sur son site de campagne avec notamment une photo d’elle, petite fille berçant un poupon. A-t-on vu des candidats masculins se montrer, enfants, avec leur camion de pompier pour convaincre l’électorat ?
Pour le journal allemand Der Spiegel, pas de doute, « les Allemands ne veulent pas le changement. Ils veulent Merkel. Et ils veulent ce que Merkel est devenu : Mutti ».
Toutes des « dames de fer » !
En Allemagne, la Mère a donc succédé à la « Dame de fer ». Cette expression est rattachée à Margaret Thatcher, Première ministre britannique de 1979 à 1990, un record qu’Angela Merkel s’apprête à dépasser.
Si le terme a été attribué à Margaret Thatcher, – qui a brillé par son intransigeance et son refus catégorique de négocier dans les dossiers les plus brûlants -, il est aussi utilisé dès lors qu’une femme accède à des responsabilités, quelle que soit sa famille politique, quelle que soit sa personnalité. En un mois, elles sont deux à se s’être vues attribuer ce qualificatif. Erna Solberg, la toute nouvelle Première ministre norvégienne, et avant elle Aminata Touré au Sénégal.
Slate Afrique rappelle que « les premières que l’on affubla de cet affreux surnom (on l’oublie souvent) furent la Sri Lankaise Sirimavo Bandanaraike (plusieurs fois Premier ministre) et Golda Meir, Premier ministre de l’Etat d’Israël de 1969 à 1974. »
Le thatchérisme, – et par conséquent le fait d’être une ‘dame de fer’ -, représente, comme le rappelle la blogueuse AC Husson dans « Ca fait genre » : « la consécration de tout ce que Margaret Thatcher a appris à considérer comme des « vices », qui deviennent des vertus : l’appât du gain, l’égoïsme, le mépris des plus faibles, bien loin du care traditionnellement confié aux femmes. »
Pourtant, comme le souligne AC Husson: « l’expression est devenue récurrente pour désigner des femmes chefs de gouvernement : ces femmes déterminées, ambitieuses, fermes, ne peuvent être que des « dames de fer » de Benazir Bhutto à Julia Gillard en passant par Yulia Tymoshenko. »
Ce fut le cas pour Aminata Touré, lors de sa nomination en tant que Première ministre sénégalaise le 1er septembre. Sauf que l’actuel gouvernement sénégalais ne peut pas être considéré comme conservateur, qu’Aminata Touré a elle-même fait ses débuts en politique dans des partis de gauche tels que le Mouvement pour le socialisme et l’unité (MSU) et qu’elle est aussi surnommée Madame anti-corruption. Bien loin d’une Margaret Thatcher sénégalaise attachée à une politique économique libérale. Le quotidien La Croix lui consacrait néanmoins un portrait le 2 septembre avec pour titre : « Aminata Touré : une « dame de fer » pour le Sénégal ».
Avant elle, c’est Ellen Johnson Sirleaf, Présidente du Libéria et Prix Nobel de la Paix 2011, qui n’y avait pas échappé. Libération, en reprenant une dépêche de l’AFP, dressait son portrait le 7 octobre 2011 après sa nobélisation : « Ellen Johnson Sirleaf, la Dame de fer libérienne. » Ellen Johnson Sirleaf n’a pourtant pas mis en place une politique intérieure conservatrice. Elle a au contraire fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Elle est aussi connue pour sa volonté de mettre en place de profondes réformes institutionnelles. Et dans son attitude non plus, la Présidente libérienne n’a rien d’une femme de poigne déterminée à ne rien lâcher. Pour preuve, sa volonté, à 72 ans, de réconcilier la nation, ravagée par 14 ans de guerre civile.
Le 19 août 2011, pour évoquer les candidats aux élections législatives et présidentielle qui devaient se tenir en octobre de la même année, Jeune Afrique titrait malgré tout, « Libéria : Johnson-Sirleaf, la dame de fer et ses prétendants ». Deux clichés en un titre : des prétendants pour parler d’opposants politiques, vraiment ?
A chaque continent sa « dame de fer »
Au Brésil, Dilma Roussef, a (elle aussi !) été qualifiée de « dame de fer » brésilienne, « pour son tempérament bien trempé et sa capacité de travail » comme l’expliquait une dépêche de l’AFP reprise par Le Point. Pourtant, la nouvelle femme forte du Brésil est aussi la chef du Parti des travailleurs, un parti populiste se voulant proche du peuple. Et lors des manifestations qui ont secoué le pays en juin dernier, Dilma Roussef n’a pas refusé le dialogue à la manière d’une Margareth Thatcher en réprimant avec violences les manifestations (comme ça avait été le cas pour les mineurs en Angleterre au début des années 1980). Elle a au contraire tendu la main aux manifestants pour proposer un référendum pour une réforme politique. A l’opposé d’une Margaret Thatcher qui n’a jamais montré le moindre signe de clémence envers ceux qui se mettaient en travers de son chemin.
Le 9 septembre dernier, pile 8 jours après la nomination d’Aminata Touré au Sénégal, La Croix ressortait presque mot pour mot le même titre pour l’élection en Norvège de la nouvelle Première ministre conservatrice : « Erna Solberg, une « dame de fer » pour gouverner la Norvège ».
« La Merkel norvégienne » comme l’ont aussi appelé certains médias étrangers, à la tête du parti conservateur depuis 2004, a été Ministre des collectivités locales de 2001 à 2005. C’est notamment de cette période que sa réputation de fermeté dans le domaine de l’immigration lui vaut son surnom de ‘dame de fer’. (En 2003, elle avait ordonné l’expulsion d’un réfugié kurde irakien au motif qu’il représentait un danger pour la sécurité du royaume). Mais cette politique d’immigration mis à part, Erna Solberg n’a rien du thatchérisme. Elle a d’ailleurs fait de « les gens, pas l’argent », son leitmotiv.
A l’inverse, en Norvège toujours, la travailliste Gro Harlem Brundtland, qui a occupé trois fois la fonction de Première ministre entre 1981 et 1996, avait obtenu le surnom de « mère de la nation ».
Mère ou dame de fer, le choix du surnom n’a souvent rien de bien logique mais ce sont les figures imposées aux femmes dirigeantes.
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