Afflux de paroles de victimes de violences. Pas davantage de condamnations d’agresseurs. Peu de moyens pour accompagner les victimes. La Fondation des femmes lance la campagne #PlusJamaisSeules pour pallier les insuffisances de l’Etat.

Cinq ans après l’affaire Weinstein qui a déclenché le mouvement #MeToo, mouvement planétaire de « libération de la parole » des femmes victimes de violences sexuelles, la Fondation des femmes tire un bilan et lance une campagne de dons.
Versant positif du bilan : les femmes parlent, dénoncent, n’acceptent plus. Elles parlent massivement. Et certains hommes se posent des questions sur ce qu’est une relation violente, un consentement. « Ils s’interrogent sur leurs propres comportements et sur ce qu’est la masculinité » observe Anne Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. Les entreprises, les médias, les familles ne peuvent plus fermer les yeux. Bien sûr, beaucoup s’arc-boutent contre un supposé « tribunal populaire » ou une violation de la présomption d’innocence. Mais une autre voix se fait entendre : « il est surtout urgent d’en finir avec la présomption de mensonge des femmes » dit Emmanuelle Piet, présidente du collectif féministe contre le viol (CFCV.)
Versant moins positif : quand la parole des femmes se libère, en masse, les associations d’aide aux victimes sont débordées. Très vite après #MeToo, l’AVFT (l’Association contre les violences faites aux femmes au travail) avait dû fermer ses portes début 2018
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Et les chiffres des condamnations des agresseurs n’évoluent pas beaucoup. 732 condamnations pour viol ont été prononcées en 2020 en France alors que les enquêtes de victimation comptent 94000 viols par an. Emmanuelle Piet signale d’ailleurs que ces condamnations ont eu tendance à baisser : on est par exemple passé de 1600 condamnations en 2012 à 1200 en 2016. Il faut en moyenne 77 mois pour obtenir un premier jugement pour un viol sur majeur.e. Depuis 2017, les faits constatés de violences sexuelles ont augmenté de 82 %. Mais moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites.
Et les associations qui tirent ce bilan de #MeToo déplorent à nouveau le manque de moyens mis sur la table pour en finir avec le climat d’impunité des violeurs.
« La loterie »
Bien sûr, à la suite du Grenelle des violences, des policiers ont été formés pour mieux accueillir les victimes. Pas tous. Pas bien. Car quand une femme pousse la porte d’un commissariat pour déposer plainte, c’est « la loterie » déplore Emmanuelle Piet. Cette femme peut tomber sur un policier qui n’a reçu aucune formation et l’incitera à renoncer à déposer plainte ou orientera la plainte vers un classement sans suite. Et c’est le même problème du côté des magistrats.
Les dirigeantes d’association citent l’expérience belge bien plus efficace pour condamner les agresseurs. Des centres hospitaliers spécialisés dans l’accueil des femmes victimes de viol permettent de procéder, dans un même lieu, à un examen médical, un entretien avec un psychologue puis avec des policiers spécialisés, dans un endroit sécurisant. Rien à voir donc avec l’accueil des victimes en France où il faut parfois attendre 3 semaines pour avoir un rendez-vous médical – les blessures et traces de « drogue du violeur » auront disparu – et parler à des policiers dans des espaces ouverts avec des va-et-vient constants autour. En Belgique, 50 % des personnes accueillies portent plainte contre 10 % en France.
Pour pallier ce manque de moyens, La Fondation des femmes lance ce mercredi 5 octobre une campagne de collecte de fonds. Objectif : lever 500.000 euros en attendant qu’un projet de loi de finances augmente les budgets des associations d’aide aux victimes. La campagne « #PlusJamaisSeules montre en creux le rôle essentiel des associations, seules à même aujourd’hui d’écouter et d’accompagner les victimes, de les soutenir dans leurs démarches et de les aider à se reconstruire psychologiquement après les violences subies. » explique l’agence de publicité TBWA qui l’a conçue. « L’idée est donc de montrer le parcours d’une femme victime de violences qui cherche à faire condamner son agresseur mais en vain, tant les paroles des autres l’oppressent et finissent par l’emporter. » précise l’agence qui a décliné le message en vidéo, affichage, annonces presse… et compte sur les grands médias pour le diffuser largement.
« MeToo reste à faire » écrit Anne-Cécile Mailfert dans une tribune.