Trois enseignants-chercheurs de Harvard dénoncent les lacunes des programmes de développement du leadership féminin qui occultent toute remise en question des hommes et du pouvoir au masculin.
A l’occasion de la journée internationale des Droits des femmes, W. Brad Johnson, David G. Smith et Heather Christensen ont publié dans la Harvard Business Review, une analyse qui questionne les programmes de « développement du leadership féminin ».
L’une des co-autrices de la tribune, Heather Christensen, fait part de sa réaction quand un chef lui propose pour la énième fois de poser sa candidature à un de ces programmes : « Dans un mélange de confusion et d’exaspération, j’ai répondu de manière audible : « Encore un ?! » À ce moment-là, j’avais déjà participé à quatre programmes de développement du leadership et à de nombreux séminaires de développement professionnel, tous conçus explicitement pour les femmes. » Elle-même menait d’ailleurs une formation au leadership et avait reçu un prix pour cela…
Au lieu de dire « merci » en baissant les yeux, elle a préféré retourner le sujet et s’interroger sur le message subliminal qui se cache derrière ces propositions de formation. Pourquoi faut-il spécifiquement des programmes de leadership pour les femmes ? Souffriraient-elles d’une d’incompétence naturelle pour le leadership tandis que les hommes seraient naturellement doués ?
Ne faut-il pas au contraire interroger les valeurs masculines qui s’imposent dans le monde du management ? Autorité, force, assurance sont des valeurs inculquées aux hommes et aux managers. A l’opposé, des valeurs comme l’altruisme ou le souci de plaire, sont inculquées aux femmes et ne les aident pas à être perçues comme des managers tels que les attendent les dirigeants d’enteprise aujourd’hui.
Bien sûr, Heather Christensen reconnaît que ces programmes sont très utiles aux femmes et les aident à faire avancer leurs carrières. Le département formation de LesNouvellesNews.fr propose d’ailleurs de tels programmes. Les femmes y apprennent à déminer le chemin qui mène au sommet des entreprises, acquérir de la confiance, des relations utiles, privilégier leurs ambitions sur le souci de plaire, mettre en place des stratégies d’alliances, imposer leur autorité, se débarrasser du complexe d’imposture que ressentent toutes les femmes propulsées dans des milieux jusqu’ici réservés aux hommes…
Ces transformations sont complexes pour les femmes. Elles les mettent en « insécurité ontologique ». Si les femmes adoptent des comportements « masculins » elles se sentent en décalage avec les croyances et les normes sociales qu’on leur a inculquées. Mais si elles maintiennent des « comportements féminins », elles n’ont aucune chance d’obtenir les postes de dirigeants.
Faute de mieux, ces programmes de formation permettent le développement des carrières des femmes. Mais ils ne remettent pas en question les modes d’exercice du pouvoir. De plus, demander aux femmes de se tordre l’esprit pour se comporter comme les hommes n’est pas forcément bon pour l’entreprise « Les recherches de McKinsey révèlent que la plupart des comportements de leadership jugés les plus efficaces pour relever les défis futurs des entreprises – l’inspiration, la prise de décision participative, la définition des attentes et des récompenses, le développement des personnes et la modélisation des rôles – sont déjà plus fréquemment manifestés par les femmes. » notent les chercheurs.
Et, au lieu de pratiquer un « leadership inclusif », « les programmes de développement du leadership général, historiquement dominés par les hommes et l’élite, sont axés sur la connaissance individuelle, le moi autonome et les styles de leadership autoritaires. » constatent les chercheurs.
Autre problème posé par les programmes de leadership destinés aux femmes : ils font peser sur les seules épaules des femmes la responsabilité de corriger le déséquilibre entre les sexes au sein de l’entreprise. Pire : lorsque les femmes s’absentent pour suivre ces programmes, elles en conçoivent une forme de culpabilité. En outre pendant qu’elles sont absentes, les collègues hommes peuvent en profiter pour se créer des opportunités de promotions.
Ces programmes vont être source de déception et de frustration si les dirigeants ne jouent pas le jeu et ne parrainent pas les femmes qui suivent ces formations. La direction doit faire « un plaidoyer constant et public en faveur de la promotion des groupes sous-représentés » appelle la tribune.
Autrement dit, si l’entreprise se contente de demander aux femmes de changer sans que la culture du management ne change, seules quelques femmes parviendront à tirer leur épingle du jeu et le mode d’exercice du pouvoir, pétri de valeurs masculines, ne changera pas. Pour parvenir à un leadership vraiment mixte, ce ne sont pas seulement quelques femmes qui doivent se former mais les dirigeants qui doivent prendre ce changement à bras le corps. Mais pour l’instant, la demande de formation des entreprises se porte davantage sur des programmes qui vont apprendre aux femmes le leadership au masculin que sur des programmes qui visent à apprendre aux dirigeants à manager en mixité.