Le discours glaçant des femmes diplômées de l’École polytechnique est devenu viral. Elles ont brisé l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles au sein de la prestigieuse institution.
« Pourquoi est-on toujours d’accord avec les féministes uniquement a posteriori ? » demandait Eulalie Chabert, sur LinkedIn le 25 novembre. Question rhétorique posée par l’une des co-autrices du discours de quatre diplômées de la promotion X20 de l’École Polytechnique, prononcé et enregistré lors de la cérémonie de remise des diplômes en juin dernier.
Et, depuis la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, ce discours écrit avec Lisa Shafroth, Gabrielle Sagot et Léonore Lafargue, n’en finit pas de résonner sur les réseaux sociaux.
Briser l’omerta, obtenir des chiffres
Les jeunes diplômées de la prestigieuse Polytechnique ont voulu faire entendre ce que les grandes écoles et la société tout entière a longtemps voulu cacher : la réalité des violences sexistes et sexuelles.
Entre chiffres, témoignages et dénonciation de l’omerta, leur parole a de quoi glacer l’auditoire. Leur promotion a été la première à faire l’objet d’un sondage sur les violences sexistes et sexuelles. Une démarche qui n’allait pas de soi. Elles ont dû batailler sévèrement pour obtenir ce recueil d’informations et de chiffres indispensables. Car sinon, selon la formule consacrée, « ce qui n’est pas compté ne compte pas » et le déni des violences sexistes et sexuelles (VSS) peut tranquillement perdurer.
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La 4ème édition du sondage indique que, « au moins un quart des filles de l’X sont agressées pendant leur passage dans l’École — un chiffre sûrement sous-estimé. »
Un travail collectif pour des dispositifs de prévention
Ce sondage « représente un pas en avant dans le fait de ne plus ignorer les violences sexistes et sexuelles perpétrées à l’École Polytechnique » assurent les quatre diplômées. Mais encore faut-il en faire connaître les résultats, bien analyser les raisons de ces violences et mettre en place des remèdes.
Car « nous sommes collectivement responsables pour toutes les victimes de violence de ne pas fermer les yeux sur des problèmes systémiques pour espérer qu’un jour ce discours n’ait plus de raison d’être fait. » ont-elles dit… « Nous souhaitons aussi porter le message qu’en quelques années, des dispositifs durables contre les violences sexistes et sexuelles peuvent être mis en place par un travail collectif. »
Confinées avec le sentiment d’être des proies
Mais ce n’est pas un travail de tout repos. La première difficulté est d’être entendue. Ce passage du discours est particulièrement terrible : « C’est compliqué d’avouer qu’en tant que femme ça ne s’est pas forcément bien passé, justement parce que l’on est une femme, qu’il y a eu des moments durs, voire même traumatiques, peut-être pour certaines que l’on regrette le choix d’un régiment. Et puis lorsque certaines ont réussi à en parler, la réponse a souvent été très dure : « si c’est ça on n’enverra plus de femmes là-bas ». »
Elles racontent « les soirées confinées dans les bâtiments de l’école, avec parfois ce sentiment d’être une proie », les mains aux fesses, les agressions, les viols qui n’ont « pas l’air de choquer les élèves ou certains membres de l’encadrement. »
Ces hommes de pouvoir qui minimisent ou négligent
Elles notent qu’on leur dit que, parce qu’elles ne sont que 17%, « ce serait juste une réalité mathématique que l’ambiance soit très masculine et que ce soit dur d’être une femme ? Quand on va demander dans les écoles très majoritairement féminines comment ça se passe pour les hommes, la situation ne paraît pas très symétrique. »
Elles rendent hommage à toutes celles qui ont renoncé à parler à une époque où il n’y avait que des coups à prendre. « Il a été extrêmement difficile de mobiliser, face à des étudiants peu concernés, à des hommes qui minimisent ou qui, absorbés par leur quotidien associatif, ne prennent même plus le temps de réaliser qu’assister à une formation sur les VSS en tant que responsable de soirée — pour mieux prévenir, gérer, aider — est essentiel. Il faut alors avoir le courage de faire face à l’indifférence. »
Intimidations
…Et à la mauvaise foi ! Ces élèves qui ont fait bouger Polytechnique ont entendu, comme toutes les féministes qu’il ne fallait « pas être trop militantes comme nos prédécesseuses » Elles ont dû se débrouiller seules : « On met en place des responsables en soirée, des groupes de travail, de la formation, avec les moyens du bord. » Et bien sûr : « On organise une soirée en non-mixité un lundi soir, pour se retrouver et pour que les femmes aient une soirée dans l’année où elles soient en sécurité, où elles se sentent bien. On sera accusées d’être ségrégationnistes, de priver les hommes de leur liberté d’aller au bar un lundi soir. »
Et bien sûr, elles constatent l’impunité des agresseurs : « Certains qui ont été accusés par des camarades de promotions sont choisis par les élèves eux-mêmes dans les assos les plus sélectives. Lequel a vraiment douté de pouvoir recevoir son diplôme aujourd’hui ? »
Et demain ? La mobilisation doit continuer
Leur discours a été applaudi le jour de la remise des diplômes mais il faut espérer que ce qu’elles ont mis en place à l’école Polytechnique perdurera.
Eulalie Chabert, sait que ce sera encore un parcours d’obstacles. Sur LinkedIn le 25 novembre elle écrit : « L’histoire des luttes féministes montre un schéma qui se répète : chaque fois que des femmes nomment une violence ou une inégalité, la société commence par minimiser, contester, ridiculiser, avant de reconnaître, parfois des décennies plus tard, qu’elles avaient raison, qu’elles étaient pionnières. » Mais elle sait bien que ses camarades à l’Ecole Polytechnique comme ailleurs « continuent de ne pas être écoutées. Leurs revendications sont encore laissées de côté ».
Dans le discours, les quatre diplômées engagées demandent à propos des agresseurs et de ceux qui les laissent faire « certains de notre promotion se retrouveront à des postes de responsabilités, en situation de pouvoir, que vont-ils en faire ? »
pour écouter le discours
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