
La mission d’information de l’Assemblée nationale sur la prostitution va prochainement préconiser la pénalisation des clients. Roselyne Bachelot soutient cette orientation « à la suédoise ». Un texte de loi suivra. Mais une éventuelle dépénalisation du racolage passif continue de faire débat.
C’était attendu. Dans une interview au Parisien, mercredi 30 mars, Roselyne Bachelot se dit « favorable à la pénalisation des clients » de prostituées. « Cette pénalisation aurait pour but avant tout de faire comprendre aux hommes qu’avoir recours à la prostitution, c’est entretenir la traite des êtres humains », explique la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, en charge des droits des femmes.
Elle l’a répété, quelques heures plus tard, à l’Assemblée nationale, devant les membres de la mission d’information sur la prostitution. Présidée par la socialiste Danielle Bousquet, avec pour rapporteur l’UMP Guy Geoffroy, cette mission doit rendre ses conclusions dans une quinzaine de jours. Et, c’est maintenant un secret de polichinelle, elle préconisera elle aussi la pénalisation des clients.
« La violence faite aux femmes la plus ancestrale »
Il s’agit là d’une « mise en cohérence », pour « compléter notre doctrine » abolitionniste en matière de prostitution, juge Roselyne Bachelot. En s’attaquant à la demande, la France s’inspire du modèle suédois (imité par la Norvège et plus récemment par l’Irlande), qui criminalise l’achat de prestations sexuelles. Onze ans après sa mise en oeuvre, la Suède en a tiré un bilan positif et s’apprête même à renforcer les peines (actuellement, jusqu’à 6 mois de prison pour le client).
La ministre est une adversaire farouche de la prostitution, « la violence faite aux femmes la plus ancestrale ». Et rejette les accusations qui sont nombreuses, (« le siège du ministère est déjà assiégé », assure-t-elle) selon lesquelles la pénalisation des clients isolerait encore plus les prostituées. Pour Roselyne Bachelot, c’est là le message que veulent faire passer les proxénètes, et l’exemple suédois est sufissamment éloquent : le bilan de la loi a établi que la prostitution a diminué de moitié dans le pays. Mais attention, alerte Guy Geoffroy : si la demande diminue, les prostituées risquent d’être entraînées dans la précarité. Il faudra donc, comme en Suède, renforcer l’action publique pour les réinsérer.
Pas de remise en cause de la loi sur le racolage
Pour autant, si elle considère les prostituées comme des victimes, la prostitution comme « une violence de genre », Roselyne Bachelot ne va pas jusqu’à remettre en cause la condamnation du racolage passif. Instaurée voilà 8 ans par la loi sur la sécurité intérieure (LSI), cette criminalisation des personnes prostituées est dangereuse pour leur santé et leur sécurité, jugeait récemment Médecins du Monde. Et elle a été rejetée dans le modèle suédois. Le débat ne semble pas clos en France : « un certain nombre » de députés sont favorables au maintien de cette disposition, tient à souligner le député UMP – courant sécuritaire – Philippe Goujon. Le ministre de l’Intérieur aura l’occasion de tirer un bilan de cette loi la semaine prochaine devant les membres de la mission d’information. Roselyne Bachelot, elle assure s’en tenir au cadre de la LSI. Même si elle admet qu’il faudra « très certainement revoir ses dispositions qui sont liées à la définition et à la condamnation du racolage. »
10 000 ou 50 000 prostituées en France ?
En revanche, Rosleyne Bachelot a tenu, en toute logique, à réaffirmer son opposition catégorique à la réouverture des maisons closes, défendue par la députée UMP Chantal Brunel. Ou à la légalisation d’assistants sexuels pour les personnes handicapées, projet d’un autre député UMP, Jean-François Chossy. La ministre a, sur ces points, le soutien des membres de la mission d’information.
Accord total également, entre les députés de la mission et la ministre, sur la nécessité de mener une enquête nationale pour mesurer le phénomène de la prostitution. Le nombre de personnes prostituées en France reste une inconnue, et varie selon les sources de 10 000 à 50 000. Et, au cours des auditions de la mission, souligne Guy Geoffroy, « personne n’a été capable de donner une évaluation » des nouvelles formes de prostitution, pratiquées via internet ou dans le milieu étudiant.
Avant la loi, une campagne de sensibilisation
Roselyne Bachelot laisse aux députés le soin de déposer une proposition de loi. « Mais compte tenu du calendrier législatif et parlementaire, elle ne sera pas votée et appliquée avant 2012 », note la ministre. Avant, ou après le renouvellement de l’Assemblée ? La question reste posée. Roselyne Bachelot, en attendant le texte législatif, prévoit aussi pour 2012 une campagne nationale de sensibilisation, pour « amener les clients à prendre conscience de la gravité de leur acte ». Et le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux femmes, qu’elle promet de dévoiler en détail dans les prochains jours (il est ainsi annoncé depuis le début du mois), « laissera une large place à la question de la prostitution », souligne la ministre.
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Photo : Roselyne Bachelot, Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, le 30 mars 2011
