Avant que la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel ne soit examinée, les médias ouvrent largement leurs antennes et colonnes aux célébrités venues dire non à la pénalisation du client.
Frederic Beigbeder, Line Renaud, Luc Le Vaillant, Antoine, Catherine Deneuve, ou encore Charles Aznavour ont un point commun. Ils ont fait parler d’eux sur le thème de la prostitution, avant l’ouverture des débats sur la « proposition de loi contre le système prostitutionnel » des députées PS Maud Olivier (Essonne) et Catherine Coutelle (Vienne). (Cette proposition devait être examinée à l’Assemblée nationale les 27 et 29 novembre mais le démarrage a été décalé au 29.) Depuis que cette loi pointe à l’horizon, l’attention se focalise sur un seul sujet : la pénalisation du client.
La loi veut pourtant protéger les 90 % de personnes prostituées qui n’ont pas choisi leur sort et qui sont souvent issues de la traite. Faire baisser la demande en sanctionnant les clients serait une façon de les protéger. Une entrave à la liberté selon les pourfendeurs. Liberté du client bien sûr. Un discours qui masque de débat de fond sur la prostitution.
Bruits et fantasmes
Quelques jours après le manifeste « Touche pas à ma pute ! » des 343 Salauds, qui a davantage fait parler de lui pour sa grotesque comparaison aux 343 militantes pour l’avortement en 1971 que pour son contenu, Elisabeth Badinter expliquait qu’il s’agissait là « d’une intervention nécessaire ». Soutenant le principe de « liberté des femmes à disposer de leur corps », la philosophe d’ajouter : « La forme était contestable. Mais je n’ai pas de critiques sur le fond. »
Le fond pourtant est peu abordé dans cette cacophonie générale. Et les mensonges vont parfois bon train. La très bruyante pétition lancée par le chanteur Antoine et signée par de nombreuses vedettes comme Catherine Deneuve ou Charles Aznavour, dit : « Nous refusons la pénalisation des gens qui se prostituent. » Or le texte prévoit précisément d’abroger le « délit de racolage public », qui faisait des prostituées des coupables. Et Maud Olivier, rapporteure de la proposition de loi, qui a réagi à cette pétition, a été peu relayée par les médias qui ont servi de porte-voix à Antoine.
Des stars plus entendues que des médecins
De même, la tribune publiée par un collectif de médecins deux jours avant dans Le Monde n’a pas eu autant d’écho. Pourtant, ce collectif, dont le généticien Axel Kahn fait partie, estimait que grâce à cette loi, « les personnes prostituées pourront (…) plus facilement refuser un rapport sexuel non protégé ou dénoncer la violence d’un client. »
Même mise en sourdine pour les personnalités politiques de tous bords favorables à cette PPL. Chantal Jouanno (UDI), Anne Hidalgo (PS), Dominique Voynet (EELV), Roselyne Bachelot (ancienne ministre UMP), Pierre Laurent (PCF) ou encore Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche) ne font pas autant de buzz médiatique malgré une tribune publiée le 6 novembre dans Le Monde Prostitution : il faut interdire l’achat d’actes sexuels.
Du côté des grands quotidiens nationaux, il faut lire Le Figaro pour trouver un long article consacré à l’abattage pour les personnes prostituées. La parole est donnée à une association d’aide à ces femmes, Le Mouvement du Nid. Dans cet article, le Dr Damien Mascret, médecin sexologue demande « qu’on arrête ce discours sur la prostitution qui serait choisie et qui n’aurait pas de conséquences ». Pas gagné.
Témoignage contre témoignage
Pour faire encore plus de bruit, les médias dégainent des « témoignages bouleversants ». Le client en mal d’affection et de tendresse le dispute à la prostituée libre et heureuse. En ce 27 novembre, le festival a commencé sur France Inter dès 7h15 avec une prostituée et un client qui évoquaient de façon bon-enfant les « besoins sexuels » des hommes que la prostituée se faisait un plaisir de combler avec tendresse. Puis à 7h50, nouvelle prostituée heureuse… (Sur la radio publique, deux jours avant, un sociologue expliquait que cette loi était anti-immigration !)
Dans L’Express aussi, un long témoignage d’une prostituée, assurant pour l’occasion un rôle de psychologue, devrait achever de convaincre les plus sceptiques. Avec ce titre « impliquant » : « Nos clients ? Ce sont vos pères, vos frères, vos maris ». Des gens normaux, 60 millions de consommateurs en somme.
Et depuis belle lurette, Libération multiplie les portraits de prostituées extatiques qu’il s’agisse de Morgane Merteuil, secrétaire générale du Strass, syndicat du travail sexuel, ou encore Marla, un putain de bonheur « une fan de sexe (qui) travaille comme escort girl de luxe, tourne des pornos et vit son métier avec insouciance » expliquait le quotidien. Et bien d’autres encore…
Quand une ex-prostituée parle
Alors pour le quidam qui n’entend que ces échos, que vient donc faire cette proposition de loi dans cet océan de bonheur ? Les associations militant pour l’abolition de la prostitution essaient bien de faire entendre les témoignages d’ex-prostituées décrivant une face moins joviale de la prostitution. Mais elles ont du mal à passer dans les médias. Et les prostituées issues de la traite, curieusement, n’ont pas voix au chapitre.
Il n’est pas simple d’ébranler les certitudes construites par ceux qui parlent le plus fort. Le quotidien Le Monde dans son édito du 27 novembre a adopté la posture dominante du libertin critiquant la prétendue « morale » de la proposition de loi. Dans ce même numéro, il a illustré son article principal par une banderole de manifestation disant : « client pénalisé = putes assassinées », bref, Le Monde a marqué son opposition au texte de loi. Mais, dans son édition du 28 novembre, le quotidien a fini par publier côte à côte deux tribunes, celle d’un client et celle d’une ex-prostituée avec ce surtitre : « les prostituées sont-elles libres ou aliénées ? »… Et, s’il devait y avoir un concours de victimes, les clients ne feraient pas le poids face à l’ex-prostituée. Encore faut-il pouvoir entendre les défenseurs du texte.
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