Le 18 mars 2003, le parlement adoptait la loi sur la sécurité intérieure instituant le délit de racolage passif. Aujourd’hui, Médecins du Monde demande son abrogation. Harcèlement policier, violence des clients, isolement… l’association fait le bilan des « effet néfastes » de cette loi sur la sécurité et la santé des personnes prostituées.
Femmes, hommes ou transsexuels, ils et elles ont été 70 à témoigner pour une enquête publiée par Médecins du Monde (MdM), à l’occasion du 8ème anniversaire de la loi sur la sécurité intérieure (LSI). Premier élément : cette loi est porteuse de « confusion » pour ceux qu’elle concerne en premier chef. Plusieurs des personnes prostituées interrogées croient exercer une activité interdite, alors que c’est le racolage que la LSI a institué en délit. « Les témoignages recueillis montrent qu’une telle représentation procède directement de l’attitude des forces de police, leur donnant à penser, par leurs propos et leur comportement, qu’il s’agit d’un acte répréhensible », souligne MdM.
Du mépris à l’agressivité
Les témoignages mettent en effet particulièrement en cause l’attitude des policiers. Faisant état d’une « importante dégradation » du comportement des forces de police ces dernières années. Pour MdM, « la fonction de protection que pouvaient remplir les policiers avant l’adoption de la LSI a pratiquement disparu et leur intervention apparaît le plus souvent essentiellement répressive. »
Conséquence : « Le stigmate de la prostitution s’est renforcé, car le fait de considérer les personnes qui se prostituent comme des délinquantes alimente le mépris et l’agressivité à leur égard. » Ce témoignage, parmi de nombreux autres, est révélateur de cette stigmatisation : « Quand tu es debout dans la rue, tu peux être devant des maisons, des fois tu te reçois de nulle part des œufs, des pommes, de l’eau, et tu ne sais pas si c’est de l’eau ou de l’urine, tu ne sais pas, ils te l’envoient dessus. »
Harcèlement et humiliations de la part des forces de l’ordre sont aussi monnaie courante. Si la souffrance, alors, est surtout morale, le risque de conséquence physiques s’est également accru ces dernières années. La pénalisation des prostitué(e)s, mais pas des clients, procure à ces derniers un sentiment d’impunité. « Les clients n’ont pas peur du tout de la police, par contre, ils considèrent que nous on en a peur », témoigne une prostituée. De fait, de plus en plus de clients se montrent violents. Les témoignages font état de tentatives de vol, de coups, de violences avec armes. Cet autre témoignage : « Une fois un client est devenu menaçant car il n’arrivait pas à jouir au cours d’une fellation qui durait longtemps. J’ai préféré m’arrêter et m’échapper de la voiture mais le client a réussi à me donner un coup de poing sur le dos. Je n’ai pas porté plainte, je ne sais pas de qui il s’agit. Je suis rentrée me soigner seule chez moi. Je n’en ai pas parlé à la police mais à Médecins du Monde ».
Aucune évaluation depuis 5 ans
Autant de conséquences de la LSI qui « contribuent à inciter les personnes se prostituant à exercer leur activité dans des lieux de plus en plus isolés et donc plus dangereux », les éloignant des structures de prévention. En novembre 2010, le Conseil national du Sida constatait lui aussi la « dégradation des conditions de vie et d’exercice de la majorité des personnes prostituées » depuis 2001. Et rappelait le désintérêt de l’Etat, qui « n’a pris aucune mesure depuis 2006 pour procéder à une évaluation de la situation sanitaire et sociale » de ces personnes, alors que le texte de la LSI impose une évaluation annuelle.
Pour Médecins du Monde, c’est une évidence : le délit de racolage passif doit être abrogé. Une mission parlementaire sur la prostitution, conduite par les députés Guy Geoffroy (UMP) et Danielle Bousquet (PS), publiera ses conclusions dans les prochaines semaines. Elle compte s’appuyer sur deux piliers : l’égalité hommes/femmes et la lutte contre les violences, expliquait récemment Guy Geoffroy. Ce qui pourrait donc marquer un tournant.
L’enquête de Médecins du Monde, des photos et témoignages complets, ainsi que des extraits du film inédit Amours propres tourné à Nantes par Estelle Robin You, sur :
http://www.medecinsdumonde.org/mdm/prostitution18mars/index.html
Photo : Diane Grimonet. http://www.dianegrimonet.fr/