Si les réseaux sociaux ont, à leurs débuts, permis aux discours féministes de gagner en visibilité, les nouveaux algorithmes leur en font perdre. Signalements malveillants et biais algorithmiques boutent le féminisme hors de la Toile.

Le féminisme est-il (re)devenu un gros mot ? Le nouveau « f-word » à ne surtout pas prononcer ? Sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix féministes rapportent la baisse significative de visibilité de leurs contenus.
Notre journal LesNouvellesNews.fr, reçoit régulièrement l’avertissement du groupe Meta (Instagram, Facebook, WhatsApp) : « Your page Les Nouvelles News has been reviewed following several user reports and was found to be in conflict with platform guidelines ». Traduction : Votre page Les Nouvelles News a été examinée à la suite de plusieurs signalements d’utilisateurs et a été jugée contraire aux directives de la plateforme.
En clair, les mots féminisme, patriarcat, agression sexuelle, viol ou encore inégalités femmes-hommes dérangent des armées d’utilisateurs masculinistes qui font des masses de signalements. Et les algorithmes, déjà peu enclins à rendre visibles les contenus « politiques », rendent invisibles des contenus féministes.
La menace du « shadow ban » pèse sur les féministes
« La première fois que j’ai remarqué ce phénomène d’invisibilisation, c’était en fin d’année 2024, se remémore Léa Waterhouse, animatrice du compte Instagram Philomène la danse et autrice de l’essai Philosophesses (2025). À cette période j’ai été la cible d’une importante vague de cyber harcèlement et j’avais eu beaucoup de signalements sur mon compte donc il a été bloqué. Lorsqu’il a été débloqué, j’étais en perte totale de visibilité sur mes posts ». Présente sur Instagram depuis 2023, Léa Waterhouse partage un contenu axé sur la réhabilitation de penseuses méconnues de l’histoire de la philosophie. Une démarche qui irrite les masculinistes.
Lire : Léa Waterhouse réhabilite « philosophesses » : « un mot féminin ne peut jamais être moche »
« Au fur et à mesure du développement de mon compte Instagram, j’ai pu devenir « Meta vérifiée », ce qui m’a donné accès à d’autres statistiques liées à mon compte. Il y a une première courbe qui indique le nombre de vues, une deuxième en pointillée qui correspond au nombre de vues moyen dans le temps, puis une dernière courbe pleine sur les statistiques spécifiques à cette publication, détaille Léa Waterhouse. Dès lors que je parle de féminisme, de masculinisme, de patriarcat ou de violences sexuelles, la courbe cesse d’augmenter et fait comme un plateau. Pour quelques posts, ce n’est même plus de l’invisibilisation mais carrément du “shadow ban“, c’est-à-dire que le post n’est plus présenté aux utilisateurs du réseau social, sans pour autant être supprimé ».
Léa Waterhouse n’est pas la seule à subir cette « censure des féministes ». Zoé Espitallier, animatrice du compte féministe Bonne À Marier, présent sur Instagram et TikTok, rapporte les mêmes observations. « Récemment j’ai remarqué que je n’ai pas accès aux stats pour certaines de mes publications. J’ai fait le test sur les six dernières : j’ai fait un post sur les bonnes nouvelles féministes qui a super bien fonctionné. Mais dès que je parle de cyber violence et de violence masculine, comme j’ai pu le faire sur la terrible histoire du steamer Jean Pormanove, décédé en direct pendant un live, mes statistiques, comme le nombre de likes, de partages et de commentaires, n’apparaissent pas. Ce n’est pas juste un problème technique, ne pas avoir accès à cette fonctionnalité m’empêche de voir la portée de mes publications ».
Les soupçons s’accentuent. Les prises de parole féministes sont-elles censurées sur les réseaux sociaux ? Déjà en 2023, des militantes féministes s’étaient rassemblées à Londres devant le siège de Meta pour protester contre la censure imposée à certaines publicités liées à la santé sexuelle des femmes, où des mots comme « vulve » et « cycle menstruel » apparaissaient. Suite à cette mobilisation, Meta avait déclaré les avoir supprimé par erreur. En janvier 2025, Instagram avait même reconnu avoir restreint la visibilité de contenu LGBTQ+ en les classant automatiquement comme « contenu sensible », comme le rapportait le journal Le Monde. La question se pose alors pour les féministes : faut-il jouer le jeu des algorithmes ?
Déjouer les algorithmes
Sans céder sur la dimension foncièrement féministe de leur contenu, les militant.e.s ont trouvé des détournements subtils et codifiés. Le mot agression sexuelle s’écrit désormais « agr3ssion s3xuelle », sexisme se transforme en « s3xlsme » et viol devient « vi0l » ou est parfois remplacé par une pastille violette, la couleur du féminisme, tel un indicateur caché mais assumé. D’autres choisissent de couper les mots en deux ou d’en biper certains à l’oral. « Les militant.e.s ont élaboré un tas de stratégies visuelles et orales pour passer entre les mailles du filet, sans pour autant changer les mots », observe Léa Waterhouse. Même stratégie sur Bonne À Marier : « J’estime que lorsqu’on parle de violences faites aux femmes et sur les minorités, il faut dire les termes. Mais j’ai aussi conscience qu’il faut que j’adapte ma stratégie et si je vais faire un post, je ne vais peut-être pas insister sur certains concepts en description », se questionne Zoé Espitallier.
Mais, problème : les cyberharceleurs utilisent aussi ces détournements et ces tactiques. « Quand je me suis faite cybehrarceler, j’ai bannis certains mots de mes commentaires, comme « viol » ou « salope » parce que je sais qu’ils me visent et j’ai déjà reçu des menaces de mort. Mais j’ai remarqué que les masculinistes qui m’insultent en commentaire utilisent les mêmes stratégies pour déjouer les algorithmes. Les féministes s’adaptent mais les masculinistes aussi malheureusement », se désole Zoé Espitallier.
Malgré les attaques et l’invisibilisation programmée des algorithmes, les féministes ne lâchent rien. « Je n’étais pas très réseau mais je me suis lancée sur Instagram pour promouvoir mon podcast. J’ai envie de continuer pour le plaisir mais c’est aussi devenu une source de stress, je ne suis pas payée et ce n’est pas un plaisir de passer des heures de travail et se rendre compte qu’au bout de 30 min il n’est déjà plus visible, déplore Léa Waterhouse, avant d’ajouter : Mais un ami m’a dit que je ne faisais pas ça que pour moi mais aussi pour toutes les femmes avant et après moi. C’est important de se rattacher à une cause un peu plus grande que la sienne ».
Réseaux sociaux : d’alliés à ennemis des féministes
Si les algorithmes limitent la portée des prises de parole féministes, les réseaux sociaux ont, par le passé, permis aux luttes féministes de gagner en visibilité et de prendre de l’ampleur. MeToo en est l’exemple le plus marquant. Le 15 octobre 2017, l’actrice américaine Alyssa Milano publiait un tweet dans lequel elle accusait de viol le producteur hollywoodien Harvey Weinstein et lancait le hashtag #MeToo pour que la parole des victimes se libère. Elles ont été des centaines à se manifester.
Mais bien avant #MeToo, quand les réseaux sociaux sont apparus, les féministes s’en sont emparées pour donner plus de visibilité à leurs idées. Cet âge d’or de la parole féministe touche à sa fin. Retour à la case départ. Avant Internet, les idées féministes étaient limitées par des médias traditionnels conçus et dirigés avec des lunettes masculines, voire patriarcales.
En janvier 2025, LesNouvellesNews.fr tirait la sonnette d’alarme après que Mark Zuckerberg a mis un terme à la vérification des faits sur ses réseaux sociaux. La fenêtre de tir d’idées féministes semble se refermer. Les réseaux sociaux sont de plus en plus empreints de « bro-culture » . « Invisibiliser la pensée féministe, c’est invisibiliser une partie du débat public. Si on continue de censurer le compte des féministes et qu’on ne censure pas les masculinistes, c’est qu’il y a un problème », martèle Zoé Espitallier, avant de conclure : L’histoire a montré qu’on sait très bien faire taire les femmes ».
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