Deux ans après le drame du Rana Plaza, les députés ont adopté une proposition de loi imposant un devoir de vigilance aux grandes entreprises utilisant des sous-traitants. L’examen du texte aura été, au passage, l’occasion d’un débat sur l’expression « droits humains ».
Un « pied dans la porte » pour rendre les grandes entreprises plus vigilantes sur leurs sous-traitants. L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, lundi 30 mars la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Le texte a été inspiré par des ONG, suite à la catastrophe du Rana Plaza. Le 24 avril 2013, au Bangladesh, un immeuble abritant plusieurs usines textiles s’effondrait, causant la mort de plus d’un millier de personnes, blessant des milliers d’autres. Dans les décombres ont été retrouvées des étiquettes de grandes marques de vêtements mondiales, certaines françaises, qui utilisaient des sous-traitants dans cet immeuble.
Voir : Un an après le drame du Rana Plaza, « rien n’a changé »
Les ONG, qui font pression depuis le drame pour mettre ces entreprises donneuses d’ordre face à leurs responsabilités, saluent « l’avancée significative que représente ce vote pour la protection des droits humains », et ce « malgré les pressions des organisations patronales pour que cette loi ne voie jamais le jour »
La proposition de loi oblige toute grande entreprise française à adopter « un plan de vigilance » comportant des mesures « propres à identifier et prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle (…) ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. » La responsabilité des entreprises pourra être engagée devant la justice en cas de manquement à cette obligation de vigilance, et l’amende atteindre 10 millions d’euros.
Reste que le texte a été édulcoré par rapport à la proposition initiale. La responsabilité pénale a été restreinte. En outre, le plan concerne les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés et celles de plus de 10 000 salariés ayant en plus un siège à l’étranger. Soit autour de 150 entreprises. Certaines impliquées dans le drame du Rana Plaza ne seraient pas concernées. Mais c’est « un pied dans la porte », estimait le rapporteur du texte Dominique Potier. « Une première étape », renchérissent les ONG, en se disant vigilantes sur la suite du parcours parlementaire de la proposition de loi.
Droits humains ?
Lors de l’examen du texte en séance, la présidente de la délégation aux droits des femmes, Catherine Coutelle, a tenu à souligner que les travailleurs exploités par des sous-traitants pour fabriquer des produits à bas coût sont en premier lieu des femmes (entre 80 et 90% dans le secteur du textile – voir aussi : Textile et dépendance : en Europe aussi, les femmes au bout de la chaîne).
L’occasion pour la députée de revenir un peu plus tard sur un terme du texte. Les plans de vigilance des entreprises concernées doivent en effet porter, entre autres, sur les « risques d’atteintes aux droits de l’homme » (avec un petit ‘h’). Il serait juste de substituer à cette expression celle de « droits humains », a fait valoir Catherine Coutelle, par le biais d’un amendement. Cette tentative de faire évoluer le langage pour ne plus en exclure les femmes fait écho à la campagne en cours pour que la France supprime l’expression « droits de l’Homme » de sa terminologie officielle pour la remplacer par l’expression « droits humains ».
Mais c’est impossible dans le cadre de cette proposition de loi, nous sommes « tenus par les textes internationaux », a fait valoir Annick Le Loch, co-rapporteure du texte. Reste que c’est la France qui insiste, à l’international, pour la persistance de l’expression « droits de l’Homme ». Le Canada ou la Suisse ont déjà adopté de longue date les termes de « droits de la personne » et « droits humains ».
Ci-dessous le compte-rendu de l’échange sur cette question à l’Assemblée nationale, lundi 30 mars :
Mme Catherine Coutelle. Le texte de l’alinéa 3 prévoit de « prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme ». Je propose de substituer « droits humains » à « droits de l’homme ». Je sais bien que l’expression fait débat et que la France ne l’a pas encore adoptée mais elle est plus inclusive. Elle fait référence à l’expression « human rights » de la déclaration de l’ONU de 1948 que les Français ont traduite par « droits de l’Homme », en référence à leur histoire et bien entendu à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Je vous rappelle, chers collègues, que celle-ci excluait les femmes du droit de vote et de la citoyenneté, qu’Olympe de Gouges est montée à l’échafaud pour avoir demandé la citoyenneté des femmes et que nous avons eu le droit de vote en France 150 ans après ! L’inclusion dans les droits de l’Homme avec un grand H ne se justifie plus et d’ailleurs le détail orthographique ne s’entend pas. Je me permets d’ailleurs de vous faire remarquer, monsieur le rapporteur, que vous avez écrit « atteintes aux droits de l’homme » avec un petit h, même pas un grand H ! Votre texte n’inclut donc absolument pas les femmes dont je viens de dire qu’elles sont les principales victimes de la mondialisation et de ses catastrophes. Je demande donc que l’on retienne l’expression « droits humains ». Je comprends la philosophie française mais la langue française exclut encore les femmes et il faut en finir avec la logique discriminatoire de notre langue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Potier, rapporteur. Je suis vraiment confus de l’emploi du petit h qui est évidemment une erreur, car nous avions le grand en tête. Nous ne pouvons donner satisfaction à votre amendement et j’en demande le retrait, chère collègue, mais c’est Annick Le Loch, une femme, qui va vous expliquer pourquoi.
M. le président. La parole est à Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis.
Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis. Je partage le combat en faveur de l’égalité et de la parité et reconnais bien là la pugnacité de Catherine Coutelle et tout l’intérêt qu’elle porte à ce combat. Toutefois, nous sommes ici tenus par les textes internationaux. Nous souhaitons nous y référer et nous y tenir. Le chapitre IV de la version française des principes de l’OCDE à l’intention des multinationales est consacré aux droits de l’homme et non aux droits humains. Quant aux principes de de Rugy qui comptent en matière de recherche sociale et environnementale et qui ont été adoptés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ils sont parsemés de cette expression. Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Même avis.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle. Je maintiens l’amendement car je conteste votre argument, madame et monsieur les rapporteurs. J’ai pris la précaution, dans l’exposé des motifs de mon amendement, d’exclure les textes faisant explicitement référence à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen française. Il s’agit ici des droits de l’Homme à l’échelle internationale, or nous avons mal traduit l’expression « human rights » par habitude des « droits de l’Homme » mais tous les textes signés pas les pays du monde entier, dont certains pays francophones qui sont en train de les adopter, y font référence ! Nous sommes les seuls à ne pas le faire ! C’est un vrai combat, mené à l’échelle internationale ! Je ne retire donc pas mon amendement.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il est inapplicable !
(L’amendement no 56 n’est pas adopté.)