Vernon Subutex, le retour. Ou plutôt, Despentes, le retour. Sur fond de nostalgie des années 90 (sexe, rock et drogue), le volume I dépeignait des individus qui se débattaient chacun dans leur coin, le volume II, lui, dénonce et propose.
Dans un premier tome, paru en janvier, Virginie Despentes écrivait l’histoire d’un disquaire, Vernon, qui avait dû fermer boutique à cause de la crise (numérisation de la musique). Expulsé de son appartement, il squattait chez d’anciens amis avant de se retrouver à la rue. L’intrigue continue. Mais plus de la même manière. Pour rappel, Alex Bleach, vieil ami de Vernon et chanteur populaire de rock, avait été retrouvé mort dans sa baignoire après une overdose. Avant de mourir, il avait laissé un testament vidéo que Vernon avait en sa possession et que tout le monde convoitait. Fil conducteur du volume I, cette traque à la vidéo poussait à qualifier l’oeuvre de Despentes de roman-polar. Aujourd’hui, le polar n’est plus, enlevons le, ce n’était qu’un prétexte. Un prétexte auparavant nécessaire dont le lecteur n’a plus besoin dans ce deuxième volume, Despentes parle, donne son avis sur la société française à travers tous ses personnages qu’elle incarne, et on écoute.
Femmes, hommes, trans, noir, blanc, vieux, jeune, riche, pauvre, les personnages de Despentes sont multiples. Mais chacun a quelque chose qui nous fait réagir, chacun porte en lui quelque chose que nous même portons. Jamais caricatural, toujours complexe. Le facho d’extrême droite n’est pas un abruti fini, il est aussi un enfant de prolo que la vie n’a pas épargné, la voilée n’est pas la soumise que certains imaginent, elle n’est pas la fille d’un père musulman mais d’un homme qui a voulu s’émanciper :
« À travers sa fille, Sélim récupère son statut d’enfant d’immigré : il est placé devant une double injonction réalisable. Il est écartelé. Il refuse d’accepter le choix d’Aïcha autant qu’il refuse de le condamner avec ceux qui n’ont pas subi ce qu’elle subit.
Il a aimé ce pays, à la folie. Son école, ses rues propres, son réseau ferroviaire, son orthographe impossible, ses vignobles, ses philosophes, sa littérature et ses institutions. Mais autour de lui, les Français n’habitent plus la France qui l’a enchanté. Ils souffrent. »
Despentes décrit des personnes que l’on croit tous connaître, des personnes à qui on s’attache et qui prennent une dimension nouvelle à chaque page. Certains désignent son œuvre comme une « photographie » du monde contemporain. Mais non, ce n’en est pas une. Une photo est figée, même si on y perçoit la vie. Ici les personnages évoluent avec tellement de fulgurance et de reliefs que la photo que l’on prendrait serait déjà obsolète au moment du clic. S’il faut vraiment se représenter le livre alors optons pour un puzzle dont chaque infiniment petit morceau sert une plus grande œuvre. Ensemble, tous ces morceaux forment le visage d’une France en crise d’identité parce qu’elle n’accepte plus la multitude de cette dernière.
Les contours du puzzle dessinent le territoire français mais en arrière-plan c’est le visage de Despentes que l’on devine. L’aura de l’écrivaine se retrouve dans chaque phrase, comme un personnage omniprésent que l’on n’aurait pas (plus) besoin de présenter. Et c’est ici la force de l’ouvrage. Dans chaque personnage, c’est Despentes que l’on entend parler. On dira « oui, elle a été disquaire à Lyon, elle doit s’inspirer de son expérience ! » mais elle est aussi cette fille voilée, cette pute, ce SDF qui gagne au loto mais qui refuse l’argent pour garder sa liberté, elle est cette jeune femme chiante que l’on croit sans relief, elle est tous ces personnages à la fois, au moins une partie d’eux.
Le style est moins nerveux, l’ambiance moins noire. Alors que chacun se battait isolément dans le volume un, les personnages se retrouvent dans le nouvel opus. Certains n’ont aucun point en commun, comme tous les individus de notre société, mais vivent ensemble avec bonheur, en communauté. Non, Despentes n’est pas du style à faire dans la niaiserie, c’est un vrai choix qu’elle nous propose : vivre en communauté, vivre ensemble sans haine, en acceptant les différences. Un message de tolérance qui inonde le tome II, comme un rêve dont Despentes n’a pas perdu espoir. Ce choix est-il vraiment la solution ? Le troisième tome, qui sortira en janvier 2016, répondra peut-être à la question.
Vernon Subutex 2, Virginie Despentes, Grasset, 489 p.
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