L’impunité des agresseurs sexuels est une question d’argent. C’est ce que montre un rapport de la Fondation des femmes qui décortique un système cynique.
Il y a quelques semaines, un mot dièse #OnNePortePasPlaintePourlArgent apparaissait sur les réseaux sociaux. Les victimes et associations d’aide aux victimes d’agressions sexuelles étaient exaspérées d’entendre la musique post #MeToo d’inversion d’accusation : les agresseurs et leurs complices criaient haut et fort que les plaignantes inventaient des histoires d’agression pour gagner de l’argent.
Le rapport de la Fondation des femmes intitulé « Cinq ans après #MeToo : le coût de la justice pour les victimes de violences sexuelles » remet les idées en place. Il est rédigé par deux expertes en coût de la misogynie, Lucile Peytavin et Lucile Quillet, l’historienne et la journaliste ont écrit deux livres remarqués sur le sexe de l’argent*. Et elles ne badinent pas avec les précisions chiffrées tirées de plusieurs enquêtes récentes venant, pour la plupart de l’Insee, des services de l’État ou d’associations reconnues.
Moins de 1% des auteurs de viols sont condamnés par la justice. Et seulement « 13% des 95 000 femmes victimes de viols ou de tentative de viol portent plainte pour les violences subies » rappellent les chercheuses. « 99% des auteurs de violences sexuelles sont des hommes. Seuls 8% des auteurs de violences sexuelles font l’objet d’une condamnation et on estime que moins de 1% des auteurs de viols sont condamnés. »
Alors quand il faut débourser 1500 à 3000 euros pour se constituer partie civile seulement, et envisager d’en dépenser au total plus de 10.000 – frais d’expertise médicales, frais d’avocats, consignations, suivi psychologique…- pour un résultat aussi décevant, les justiciables, victimes de violence sexuelle se découragent.
Plus rentable de défendre les agresseurs
Le système est pervers. Très souvent, les femmes n’ont pas cet argent ou ne peuvent pas y accéder quand leur agresseur est leur conjoint. Et l’aide juridictionnelle ? Le rapport montre qu’elle est « plus importante pour les agresseurs présumés que pour les victimes. » Les femmes étant parfois inéligible à cette aide en raison des revenus du conjoint. Il est, du coup, plus rentable pour les avocats de défendre les agresseurs. « La seule chose qu’on nous enseigne à l’école d’avocat au sujet des cas de violences sexuelles, c’est comment prendre un dossier pour défendre l’agresseur et le harceleur, et contrer les victimes. Ce sont des avocates et avocats qui donnent les cours et ils nous enseignent au fond comment monter une entreprise rentable : et le plus rentable c’est de défendre les plus forts. Les agresseurs les plus rentables sont des hommes plus âgés, mieux placés dans la hiérarchie et qui ont de meilleurs salaires. » déclare Mathilde Cornette, juriste à l’AVFT Libres et Égales, dans ce rapport.
Le rapport douche aussi quelques illusions quant à un remboursement des frais de justice en fin de procès. « Pour être entièrement remboursé, l’avocat doit verser à la procédure ses factures d’honoraires. Or, la majorité des avocates et avocats ne les donnent pas, car ils ne veulent pas que les magistrats aient connaissance de leurs tarifs. Et les magistrats fixent un montant forfaitaire en dessous de la réalité » explique à son tour Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT Libres et Égales.
Lucile Peytavin et Lucile Quillet insistent aussi sur le manque à gagner pour les victimes : « elles puisent dans leur épargne, elles prennent des crédits, elles empruntent de l’argent auprès de leurs proches, voire vendent leur logement ou patrimoine, quand elles en ont. Cet argent disponible en moins, c’est autant de ressources et de potentiel d’investissement à long terme dont elles se retrouvent privées » Elles rappellent aussi que dénoncer une agression sexuelle au travail se traduit le plus souvent par un licenciement suivi d’une période de chômage et d’un nouveau travail moins bien rémunéré…
Beaucoup de victimes s’arrêtent en cours de route. Mais pour celles qui vont jusqu’au bout… quelle indemnité ? Impossible de calculer une somme moyenne. Normalement c’est à l’agresseur de verser cette indemnité mais c’est le plus souvent le Fonds de Garanties des victimes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) qui prend le relais. Des cas d’indemnisation de 20.000 à 50.000 euros pour des viols sont rapportés mais ils sont rares. Et il faut attendre plus de 7 ans pour en arriver là.
Le plus souvent les victimes perdent sur tous les tableaux. Le rapport cite l’exemple fictif de Julie, une Parisienne victime d’un viol. Après sept ans de procédure, elle échoue à faire condamner son agresseur, « comme dans l’immense majorité des cas ». Julie aura déboursé en vain près de 8.500 euros pour ses démarches juridiques, dont 6.000 euros de frais d’avocat, selon les calculs des autrices. Et cela, sans compter le coût de son suivi psychologique.
Le rapport formule plusieurs propositions pour faire baisser les coûts de justice. Parmi celles-ci :
– Supprimer, dans les affaires de violences sexuelles, la « consignation » exigée pour se constituer partie civile. Cette somme, assimilable à une caution et destinée à dissuader les plaintes abusives, va de 1.500 à 3.000 euros.
– Revalorisation du barème de l’aide juridictionnelle, versée par l’Etat aux justiciables pour prendre en charge, partiellement ou totalement, leurs frais d’avocat. Ce barème, qui tient compte des revenus du demandeur, est actuellement « l’un des plus bas en Europe ».
– « Déconjugaliser » les critères d’attribution de cette aide, « pour que les femmes mariées et pacsées ne s’en voient pas privées et placées en situation de dépendance économique vis-à-vis de leur conjoint ».
*Lucile Peytavin, historienne et essayiste, autrice de l’essai Le Coût de la virilité, ed. A. Carrière.
*Lucile Quillet, journaliste, autrice de l’essai Le Prix à payer, ce que coûte le couple hétéro aux femmes, ed. Les liens qui libèrent.