
Cécile Godde
Expédition de trois semaines en Antarctique pour 78 femmes scientifiques du monde entier. Alexandra Dubini et Cécile Godde, deux françaises dans ce groupe, expliquent leur participation à ce projet Homeward Bound.
C’est une expédition très particulière qui a levé l’ancre à Ushuaïa, dimanche 18 février, direction l’Antarctique. Elles sont 78 femmes scientifiques, spécialisées dans de multiples domaines et de 13 nationalités différentes, embarquées pour trois semaines avec un objectif commun : donner davantage de visibilité à la place des femmes dans la science, et à leur nécessaire influence sur les politiques publiques et les prises de décision, en particulier pour l’avenir de la planète.
Ce voyage s’inscrit dans le cadre du projet australien Homeward Bound, lancé en 2016, qui vise à former 1 000 femmes scientifiques en 10 ans pour renforcer leurs compétences en matière de leadership et de communication. En décembre 2016, une première cohorte de 76 candidates s’est rendue en Antarctique. Pour cette deuxième vague elles sont donc 78 – un record pour une expédition 100% féminine – dont une poignée de Françaises, la plupart expatriées. Les Nouvelles NEWS ont pu échanger avec deux d’entre elles, avant leur départ.
« L’occasion de faire partie du réseau grandissant d’incroyables femmes scientifiques du monde entier »
Alexandra Dubini travaille à l’office des projets internationaux de l´université de Cordoba en Espagne, où elle poursuit aussi ses recherches sur l’optimisation de la production d’hydrogène chez les algues. Cécile Godde vit à Brisbane, en Australie. Spécialisée dans les systèmes alimentaires durables, elle entend grâce à ses travaux « avoir un impact concret sur la prise de décision pour nourrir le monde de manière plus durable et équitable. » Elle travaille au CSIRO – l’organisme gouvernemental australien pour la recherche scientifique – et à l’Université du Queensland, où elle entreprend un doctorat sur l’intensification durable des pâturages.
Participer au projet Howard Bound s’est, pour elles, imposé comme une évidence. « Je souhaite contribuer à une planète plus saine, une société plus juste et plus heureuse. Cela peut paraître utopique et naïf, mais c’est un objectif que je me suis fixé depuis toute petite et qui a influencé mes choix professionnels et personnels », explique Cécile Godde. « Je considère Homeward Bound comme un tremplin dans mon épanouissement personnel et professionnel qui m’aidera à devenir une leader, à développer ma vision pour un monde meilleur, à accroître la visibilité et l’impact de ma recherche scientifique. C’est également l’occasion de faire partie du réseau grandissant d’incroyables femmes scientifiques du monde entier ». Alexandra Dubini entend, de même, « développer un réseau de connexion fort et interdisciplinaire avec des femmes motivées et qui ont les mêmes objectifs : trouver des solutions pour réduire notre impact écologique et prendre des actions concrètes pour réduire le réchauffement climatique en cours. »

Alexandra Dubini
Cette expédition antarctique est le point d’orgue d’une année durant laquelle elles ont participé à un programme de leadership, avec le soutien d’un coach personnel et sous l’égide de plusieurs mentors comme la primatologue Jane Goodall ou l’ex-« madame climat » de l’ONU Christina Figueres.
Reste un regret pour Alexandra Dubini. « En Australie et en Espagne les participantes ont réussi à faire participer des personnalités politiques, aussi bien au niveau financier qu’au niveau politique », alors qu’en France elle n’a « pas (encore) reçu le soutien escompté ». Son interpellation de l’ambassadrice pour les pôles, Ségolène Royal, est ainsi restée sans réponse. Mais « c’est un travail de longue haleine et nous espérons que les politiques nous suivront de plus en plus et au fur et à mesure que nous avançons ».
« Jusqu’au milieu du 20ème siècle, les femmes étaient largement découragées d’explorer le continent »
Durant ces trois semaines en Antarctique, les 78 scientifiques se rendront régulièrement sur la glace, visiteront cinq bases de recherches, participeront à des ateliers pour travailler sur des projets scientifiques et échanger sur leurs travaux… « Je compte apporter mon expérience sur la production de biocarburants à partir de micro-organismes photosynthétiques et leur potentiel comme énergie du futur », explique Alexandra Dubini. Cécile Godde dirigera en particulier un projet qui vise à réduire à zéro l’empreinte carbone du voyage.
« Sortir de ma zone de confort » : toutes deux emploient cette expression en évoquant leurs trois semaines en Antarctique. Le défi physique que propose le continent blanc n’est pas la seule raison de cette expédition. C’est « un monde naturel extrêmement fragile, un baromètre critique de la santé de notre planète et des comportements et décisions de notre société », relève Cécile Godde.
Il a longtemps été, aussi, un baromètre de la masculinité, un espace réservé aux héros, pas aux héroïnes, note la scientifique : « Jusqu’au milieu du 20ème siècle, les femmes étaient largement découragées d’explorer le continent, et les États-Unis ont même interdit à leurs concitoyennes de travailler dans la région jusqu’en 1969 ! ».
« En ce moment, la prise de décision politique est faite par des hommes et je ne suis pas convaincue que notre société va bien »
Placer les femmes scientifiques sur le devant de la scène, c’est donc bien l’enjeu de cette expédition. Selon les données internationales, moins de 3 chercheurs sur 10 sont des chercheuses. Si les femmes représentent la moitié des effectifs des classes de sciences au lycée, elles ne sont plus que 32% en licence, 25% en doctorat… et 11% dans les hautes fonctions académiques. Un « tuyau percé » qui s’accompagne de regards stéréotypés. En 2012, une étude américaine montrait qu’à CV identique les recruteurs, hommes comme femmes, sont moins susceptibles d’embaucher une femme dans un laboratoire.
Alexandra Dubini assure n’avoir jamais rencontré dans sa carrière d’obstacles liés au fait qu’elle était une femme. « Malheureusement autour de moi ce n’est pas le cas et j’entends très souvent des histoires de discrimination liées au genre ». Cécile Godde rapporte, elle, avoir fait directement l’expérience du sexisme. « Je travaille en recherche agricole et environnementale et passe la plupart de mon temps sur un ordinateur à faire de la programmation. Mon entourage professionnel est dominé par les hommes. On me demande parfois si je suis la secrétaire de mon équipe de recherche. Je pense que ce genre de commentaire est biaisé par le fait que je suis une femme ; je doute qu’on pose ce genre de question à mes collègues hommes… »
Les compétences acquises au cours de cette année en lien avec Homeward Bound « nous aideront à avoir plus de femmes à des postes de décision, plus de femmes prêtes à influencer le futur de notre planète », conclut Cécile Godde. « En ce moment, la prise de décision politique est faite par des hommes et je ne suis pas convaincue que notre société va bien. Un symptôme très évocateur est que nous réussissons à menacer notre propre espèce à travers le changement climatique. Je fais le pari qu’établir la parité femmes/hommes aux prises de décisions politiques est une étape indispensable pour une société plus durable. »
