Le « sexisme » au coeur des débats, des prévenus qui bredouillent,… Lors du procès des cyberharceleurs de la comédienne et militante féministe Typhaine D, les mises au point du tribunal, reprises par les médias pourraient bien faire évoluer les mentalités.

« C’est quoi votre problème avec les femmes ? », lance le procureur lors du procès des cyberharceleurs de la comédienne et militante Typhaine D, qui s’est tenu le 17 septembre 2025 au Tribunal de Paris. La dimension sexiste du cyberharcèlement sera centrale dans l’enceinte du tribunal ce jour là. Et cette approche retentit dans les médias. Grâce à ce procès, il se pourrrait que les voix dénonçant le cyberharcèlement sexiste soient plus audibles que lebrouhaha rigolard des cyberharceleurs. Ce procès semble ouvrir une évolution du système judiciaire et du système médiatique favorable à un changement de mentalités.
Le système judiciaire prend le cyberharcèlement sexiste au sérieux…
Rappel des faits. En 2022, Typhaine D est victime d’une énorme vague de cyberharcèlement ultraviolent Ce qui a déchaîné les passions misogynes de ces cyberharceleurs ? Que la comédienne et militante féministe revendique la « Féminine universelle », une version de la langue française féminisée afin d’en finir avec l’usage du masculin « neutre », lors d’une émission du média Le Crayon. Elle préfère par exemple « Elle était une fois » à « Il était une fois ».
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Et quelques « e » ajoutés lui valent des menaces de viol et de mort. Pendant un an, la comédienne reçoit quotidiennement des insultes, des incitations au viol et au meurtre : « Meurt en enfer grosse pute de féministe », « Il est où mon lance-flamme pour cramer cette sorcière », « À cette époque je l’aurais pendu pauvre femelle », « Il faut la piquer », « Je déboiterai bien une bonne féministe » ou encore « Sale pute de Femen, le seul mot féminin que tu dois connaitre c’est ‘cuisine’ ».
Elle décide de porter plainte contre X. À son arrivée au commissariat, les officiers avaient déjà repéré la vague de cyberharcèlement dont elle était la cible, se remémore-t-elle lors du procès. « Je voudrais remercier l’ensemble des personnes qui ont participé à l’enquête parce que j’ai toujours été prise au sérieux, et ça m’émeut beaucoup », déclare-t-elle au tribunal.
Sur les milliers de cyberharceleurs, seulement onze, tous des hommes, dont deux mineurs, ont été retrouvés. Le 17 septembre, neuf d’entre eux, dont six étaient présents au Tribunal de Paris, ont été jugés pour harcèlement en ligne à caractère sexiste. Quatre d’entre eux ont même été jugés pour « délit de provocation publique et directe non suivie d’effet ».
Pour mener cette bataille, Typhaine D a été défendue par l’avocate Violaine de Filippis Abate qui épingle chacun des comportements sexistes des prévenus : « Vous dites ne pas avoir de problèmes avec les femmes pourtant vous indiquiez en garde à vue avoir des excès de colère avec votre ex, vous dites que vous ne participez pas à un courant idéologique pourquoi on a retrouvé une croix gammée dans votre matériel informatique ? », lance-t-elle à un des prévenus, comme le rapporte la journaliste et dessinatrice judiciaire Marion Dubreuil sur X.
Et la mâle assurance des cyberharceleurs recule. Rania Hadjer raconte dans MedFeminisWiya « Certains baragouinent quelques mots d’excuse, d’autres marmonnent qu’ils n’avaient « pas réfléchi ». Tous baissent la tête, se font petits, presque transparents. Une posture qui contraste violemment avec l’assurance décomplexée de leurs messages numériques.»
Le procureur insiste sur la dimension sexiste des insultes et requiert des peines d’emprisonnement de plusieurs mois, avec sursis, ainsi que des amendes allant de 1.000 € à 3.000 €.
… Et les médias suivent
Le 17 septembre, plusieurs médias étaient présents pour couvrir le procès des cyberharceleurs de Typhaine D. Et le compte rendu précis qu’a fait Marion Dubreuil a été largement partagé.
Politis rapporte en détails les étapes du procès, les évolutions de la justice, avec un président et un procureur qui insistent sur le caractère sexiste de ce cas de cyberharcèlement. Ou encore les arguments des accusés qui reflètent la banalisation des violences misogynes dans la société. La journaliste écrit, en parlant des six accusés présents : « Ces hommes, ces « Monsieur-tout-le-monde », sont les visages de la violence masculine en ligne ». Une analyse qui n’est pas sans rappeler le procès des viols de Mazan qui a insufflé une prise de conscience collective concernant la réalité des violences sexuelles et de leurs auteurs. Les journaux Le Nouvel Obs et L’Humanité mettent en lumière la mobilisation des collectifs féministes venus soutenir Typhaine D avant l’audience, devant le palais de justice. Typhaine D a également pu s’exprimer dans une interview accordée au média en ligne Herstory, dans une interview filmée diffusée sur les réseaux sociaux.
Le procès n’a pas fait la une des grands journaux. Mais c’est un début. Et c’est déjà énorme pour un sujet féministe. Progressivement, les combats, menés dans la rue ou devant la justice, gagnent en visibilité et insufflent des prises de conscience.
Prises de conscience
Il y a quelques années, un autre procès avait permis de dénoncer la banalité du cyberharcèlement sexiste. En 2019, la journaliste Nadia Daam porte plainte pour cyberharcèlement. En 2017, elle avait été victime d’un raid sur les forums de Jeuxvideo.com, Avenoel ou Discord, ainsi que sur les réseaux sociaux, où des centaines de menaces anonymes, à base d’insultes et de menaces de viol et de meurtre, la prennaient pour cible, elle, mais aussi sa fille. Un seul cyberharceleur est alors identifié. Le tribunal correctionnel de Rennes le condamne à cinq mois de prison avec sursis simple et 2.500 euros pour préjudice moral. Jugé pour « menace de crime contre les personnes matérialisée par écrit, image ou autre objet », l’homme est finalement déclaré coupable de menace de crime, en l’occurrence de viol, envers la fille de Nadia Daam. En août 2022, l’homme est de nouveau condamné en appel à une peine de cinq mois de prison avec sursis probatoire de trois ans ainsi qu’à payer 4 000 euros de dommages et intérêts à la journaliste pour préjudice moral, auxquels s’ajoute une obligation de soins psychologiques.
Lire : Cyberharcèlement : peine aggravée pour l’homme qui avait menacé Nadia Daam
La presse en parle et ce procès fait progresser le système judiciaire. Depuis 2020, le tribunal de Paris a ouvert un pôle contre la haine en ligne, spécialisé sur les mécanismes spécifiques des délits en ligne. Une première prise de conscience s’opère… mais combien en faudra-t-il avant un véritable changement et l’application d’une modération stricte sur les réseaux sociaux où la violence du masculinisme se déploie sans obstacle ?
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1 Commentaire
Je remarque toutefois qu’ils ne sont pas poursuivis pour « incitation à la haine », ce qui est clairement le cas de leurs remarques alors que ce crime est inscrit dans la loi, curieusement il s’applique rarement au harcèlement des femmes.
Annie Gouilleux